Les opinions exprimées ici ne sont pas nécessairement celles du GRILA
G5: Du SAHEL À Pau, Il est logique que la France convoque ses alliés subalternes pour jauger de leur allegeance
G5: Du SAHEL À Pau, Il est logique que la France convoque ses alliés subalternes pour jauger de leur allegeance
Il est logique que la France convoque ses alliés subalternes pour jauger de leur allegeance

Par Aziz Fall, Membre du GRILA , Section Quebec


Alors que commence le G5 du Sahel à Pau, le CJL s’est entretenu avec l’universitaire Aziz Salmone Fall afin de décrypter ce qui se trame derrière cette réunion convoquée par Emmanuel Macron sous fond de contestation de la présence française en Afrique.
Politologue internationaliste d’origine sénégalaise et égyptienne.
Aziz Salmone Fall enseigne les sciences politiques, l’anthropologie, les relations internationales et le développement international à l’université McGill et à l’UQAM. Ancien coordonnateur du réseau québécois contre l’apartheid. Membre du GRILA (le groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique) dans lequel il coordonne, depuis 20 ans, avec un collectif d’avocat-e-s des personnalités et divers organismes, la première campagne internationale africaine contre l’impunité dans l’affaire du Président Thomas Sankara qui fut assassiné avec de douze de ses camarades, le 15 octobre 1987 . L’affaire avait été portée devant le comité des droits de l’Homme des Nations Unies et avait crée un précédent mondial en 2006 contre l’impunité dans le cas d’un meurtre d’un chef d’Etat à l’ONU et en Afrique. Le politologue propose le panafricentrage, stratégie de développement panafricaniste pour sortir l’Afrique de sa condition.


CJL: Le chef de l’état français a exprimé son irritation devant les critiques de plus en plus acerbes des sociétés civiles des pays sahéliens à l’encontre des forces militaires françaises présentes dans la région. Le président Macron a littéralement mis en demeure les chefs d’états de la région sahélienne à lui apporter explicitement leur soutien à la « guerre contre le terrorisme » livrée par les forces françaises avant d’inviter les chefs d’état de la sous région à Pau. Que pensez vous de cette invitation qui s’apparente davantage à une convocation qu’à une conférence multilatérale?


Le président français est à la fois préoccupé des pertes humaines et matérielles françaises, de la désaffection du soutien populaire devant la duplicité des politiques de l’hexagone et sa volonté de construire une nouvelle coalition internationale structurée au Sahel. Il a hérité d’une politique militariste d’administrations rivales empêtrées dans des visions paternalistes de la France d’outre mer, conjuguée à ses réseaux françafriques disparates eux-mêmes.
Ces réseaux opaques ou officieux sont des perfusions réciproques qui permettent la gestion de l’enlisement du pré-carré. Ces réseaux sont aussi essentiels à la survie des régimes de l’Afrique francophone, on se souvient par exemple de l’exfiltration vers la Côte d’ivoire de Blaise Compaoré. Par ailleurs, nous attendons toujours le dernier lot de documents français dits déclassifiés dans l’affaire du Président Sankara que toute notre collectif d’avocats espère suite à la promesse faites par le Président Macron en 2017.
Il est logique que le président Macron convoque l’entité crée par la France dans la sous-région et s’entretienne avec ses alliés subalternes pour jauger de leur allégeance, y faire taire la grogne sociale et redistribuer les rôles. Il en est ainsi depuis la fin du 19 è siècle, mais de façon plus complexe avec les raffinements de la géostratégie du 21 è siecle et les réseaux transnationaux de déstabilisations qui nuancent la donne. Les pays africains ne sont plus complétement des supplétifs, ils ont aussi leur agenda et ne sont pas passifs, dans le jeu plus vaste de l’OTAN, de l’AFRICOM et des autres acteurs étatiques extra africains et transnationaux.


Vous êtes l’auteur d’un documentaire intitulé AFRICOM go home, qu’est ce qui distingue principalement les dispositifs militaires américains et français?



Dans le document audiovisuel Africom go home bases étrangères hors d’Afrique, l’analyse panafricaine traite tous les pays extra-africains disposant de bases en Afrique ou instrumentalisant nos régimes de la même manière, c’est-à-dire comme des forces d’occupation.
Il y a certes une emphase plus grande dans le film sur les forces américaines, mais des illustrations sont faites des nuisances interventionnistes et d’intelligence dans le pré-carré français adepte d’interventions militaires multiples et anciennes. Les deux alliés sont difficilement comparables. Le budget de défense des États-Unis dépasse le budget combiné des sept pays qui le suivent, comme le mâle alpha dans la meute de loups, et cette meute alliée des États-Unis totalisent 75 % des dépenses militaires mondiales.
L’extension du dispositif américain et la cooptation de nos régimes militaires est cependant plus significative, mais il ne faut pas sous-estimer la présence française qui dispose d’atouts émanant des accords de défense secrets conditionnels aux indépendances néocoloniales et des connivences militaristes de réseaux d’affaires. Toujours est-il qu’il y a davantage d’insécurité à cause de ces forces étrangères.
Comme je le prédisais dans le film une étude indépendante de l’université du Maryland (National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism) illustre l’augmentation dramatique des attaques transnationales depuis l’établissement de l’AFRICOM. La France et les États-Unis ont un passif lourd au niveau militaire. Leurs essais nucléaires en Algérie, en Polynésie et dans les Iles Marshall semblent loin, mais le cynisme militariste peut être illustré par une image : Le bikini est un maillot de bain qui parade sur les plages du monde a été nommé pour illustrer ce qui reste après la destruction de l’ïle Bikini pendant 12 ans avec 66 charges nucléaires. La morbidité et mortalité dues à ces séquelles dans l’archipel sont encore aujourd’hui frappantes.



Lorsque la France a déclenché l’opération Serval en 2013, présentée comme une opération de soutien aux forces armées maliennes face à l’avancée de différentes milices, rares sont ceux, qui dans la région, avaient exprimé leur hostilité face à la présence de troupes militaires de l’ex puissance coloniale alors même que le simple survol de l’espace aérien algérien par les avions de chasse français avait déclenché un scandale qui avait acculé le gouvernement algérien à se justifier auprès de son opinion publique. A quoi attribuez vous cette différence de sensibilité?


Aujourd’hui de plus en plus de voix s’élèvent pour contester et dénoncer la présence militaire française dans le Sahel. Certaines vont jusqu’à accuser ouvertement l’armée française d’alimenter les réseaux jihadistes qu’elle est censé combattre afin de justifier sa présence sur place? Quel crédit apporter à ces accusations?
The war on terror a tout fait sauf se débarrasser du terrorisme. Les alliances et tactiques utilisées par la France servent ses intérêts et rien n’y changera. Elle fait tout pour contrer sa perte d’influence, de crédibilité et de volonté de perpétuer autrement en partageant les risques de ses politiques d’antan. C’est à nous, panafricains, de faire l’analyse lucide de nos intérêts. Il est clair que nos alliés durant la guerre mondiale, nous assiègent et nous assistent en même temps aujourd’hui et que nos pays exsangues, laminés par le fondamentalisme de marché, le désengagement de l’État de l’économie avec des marges ridicules de souveraineté, ne peuvent pas faire la fine bouche sur une quelconque aide offerte, surtout militaro-stratégique. La Lybie a elle seule répond à votre question, autant dans la phase pré-coloniale, coloniale que dans l’assassinat de Khadafi et la partition du pays.


Les relations incestueuses entre l’Afrique et ses anciennes colonies sont cristalisées dans le Franc CFA qui va bientôt changer de nom et s’arrimer à la banque centrale européenne. Une chance pour ces pays d’échapper à la tutelle française où une simple recodification des mêmes relations de dépendances?
L’intégration au capitalisme mondial a exigé de maintenir les formes néocoloniales d’intégration régionale, la convention de Yaoundé, de Lomé, les accords ACP, le Fcfa, l’UMOA etc Le vestige financier d’une ère qui n’est pas révolue ne disparaitra que lorsqu’il y aura une maitrise de notre accumulation et de la centralisation de notre surplus. Ceci suppose d’élargir la marge de manœuvre de nos États hors de ce que nous imposent l’OMC et les instances de Bretton-Woods, freiner le ralliement de nos élites non patriotiques à ce dispositif néo-libéralisé et nous assurer une plus grande souveraineté en se dotant d’une banque centrale susceptible d’adosser une monnaie unique sur un panier de devises.

Certes la Gambie ou la Mauritanie s’en tirent bien et prouvent que tout est possible à petite échelle. Notre ambition cependant est d’aller vers une monnaie continentale, signe d’une intégration politique plus élaborée. L’Afrique centrale déconnectée de l’Éco, ou cet Éco sans le Nigeria ou le Ghana ouvrent béante la porte à une autre dévaluation. Certains de vos lecteurs plus âgés se souviendront comment nous avions annoncé à l’époque la dévaluation du CFA malgré les dénégations du président Abdou Diouf. Et d’autres encore plus âgés se souviendront de la fausse monnaie organisée par la France pour déstabiliser la monnaie guinéenne, alors que la bauxite de ce pays était boycottée en Occident et achetée en catimini à vil prix au Canada; ce qui a entre autre contribué à faire de ce pays le havre mondial des transnationales minières aujourd’hui. Frapper sa propre monnaie est un insigne caractère de la souveraineté, et c’est cette souveraineté du continent qu’il s’agit de sauver aujourd’hui.


Selon l’expression consacrée: l’Afrique est livrée aux appétits des grandes puissances, parmi lesquelles on compte aujourd’hui des pays comme la Chine accusée de piller les matières premières et d’instaurer des relations d’extrême dépendance, notamment par l’endettement. Est ce que la Chine doit être perçue, aujourd’hui en Afrique, comme une puissance impérialiste à l’image de la France et des états unis où doit on se réjouir de voir émerger un nouvel acteur qui rebat les cartes sur la scène économique africaine?

Les États-Unis encerclent le territoire chinois avec un chapelet de bases, dotées de missiles balistiques, d’armes nucléaires et dans la mentalité des chinois la victoire sur le Japon et les traités inégaux occidentaux n’est pas oubliée. Le discours gagnant-gagnant et la dimension de la coopération sud-sud domine la politique extérieure chinoise, encore plus préoccupée de consolider sa forteresse que de coloniser le monde, mais c’est en train de changer par autodéfense de ses intérêts florissants.


Les insatiables appétits miniers et commerciaux de ce pays, les modifications engendrées par les mutations de sa couche bourgeoise et l’inflation de la menace hégémonique qu’il représenterait sur la scène mondiale, claironnée par les États-Unis, l’Europe et le Japon, viennent brouiller la lisibilité de ses coopérations bilatérales. Le film montre justement qu’ayant perdu la bataille économique devant la Chine, les pays de la triade sont contraints d’imposer l’agenda sécuritaire et géopolitique pour se prévaloir de leur accès à leur « chasse- gardée ». La Chine a entretemps ouvert une base militaire en Afrique et la bataille fait rage entre ceux qui croient encore en Chine à une coopération internationaliste et ceux qui veulent fermer cette parenthèse et opter pour une plus grande libéralisation du socialisme de marché -ou social-capitalisme- et revigorer le capitalisme essoufflé.
C’est à l’Afrique de défendre sa souveraineté et de tirer profit des perspectives diversifiées sud-sud de coopération et de solidarité qui sont encore possibles.
Ces puissances militaires qui rivalisent sur notre sol ne sont pas omnipotentes, sont traversées de contradictions et ne pourraient pas tant abuser de leurs avantages si l’Afrique est unie.

Que dire des nouvelles puissances comme la Turquie et des Émirats Arabes Unis qui avancent chacune leur pion notamment en Afrique de l’Est? Quid d’Israël?


Mais en Afrique du Nord et de l’Ouest aussi chacun avance ses pions… Au début en sous-traitant les politiques américaines, puis les rivaux Émirati et saoudiens, font sous-traiter leurs opérations financières par des pays africains tiers pour servir leurs propres agenda idéologiques et stratégiques.
Plus discrète, l’intelligence israélienne assure à quelques autocraties une innocuité redoutable alors que leur alliance avec les États-Unis fait le reste sur le terrain, comme avec l’acceptation par le Cameroun d’une base militaire américaine à Garoua. Le Japon consolide sa base et se répand aussi discrètement.
L’Allemagne plus que jamais est dans la course aux ressources africaines, elle qui offre à l’Union africaine le building Nyerere pour la paix et la sécurité et se dote d’une base au Niger, pays dont la ressource éclaire la France, mais qui flirte avec des intérêts miniers chinois…La Turquie ose ouvertement agir militairement en Lybie.. Les luttes inter impérialistes en Afrique et au Proche-Orient pour le repartage régional des ressources, des accès d’approvisionnement et les marchés vont hélas s’aiguiser..
Le renouveau du scramble du 19 e siècle met en rapport toute sortes d’intérêts dans la gestion postcoloniale de l’Afrique qui demeure insuffisamment préparée pour se défendre contre ces grandes puissances et leurs firmes, qui y font une guerre panoptique au drone ou contre des puissances moyennes aux moyens plus modestes mais incisifs; toutes sont disposées à nous assister en raison de notre abondance en ressources et la désunion de notre élite politique et la sous information et conscience politique de nos masses.
Nous avons terrassé l’apartheid et nous continuerons de lutter pour la souveraineté de tout le continent afin que de nouveau puissent s’y épanouir ses enfants et ses diaspora.



Propos recueillis par Ali Ouicène