Les opinions exprimées ici ne sont pas nécessairement celles du GRILA
Éléments d´une démarche de réflexion et d´action en matière de prévention et de gestion des conflits liés à la terre en Afrique (Aziz Samlmone Fall)
Éléments d´une démarche de réflexion et d´action en matière de prévention et de gestion des conflits liés à la terre en Afrique  (Aziz Samlmone Fall)
Éléments d'une démarche de réflexion et d'action en matière de prévention et de gestion des conflits liés à la terre en Afrique
par Aziz Salmone Fall Novembre 1995

Introduction
La prévalence de conflits en Afrique, surtout au sein de plusieurs États, expose leurs populations civiles au chaos et à des séquelles profondes. Le développement, le mouvement de démocratisation et de participation populaire, les droits humains en pâtissent. Voilà pourquoi il est important de miser sur la gestion et la prévention des conflits. La nature de ces conflits, comme leurs causes d'ailleurs, apparaissent complexes et imbriquées, alors qu'une multitude de facteurs sont capables de les entretenir ou de les exacerber. Il en découle que la prévention et la résolution de ces conflits imposent de tenir compte de nombreux paramètres transversaux. Les intervenants des droits de la personne nationaux et internationaux, qui s'occupent de prévenir ou de gérer ces conflits dans un contexte de collectivités décentralisées, de gestion décentralisée de ressources naturelles et de pouvoirs déconcentrés, ont besoin de saisir les enjeux de façon synthétique et de s'outiller en techniques de plus en plus efficientes pour parvenir à leurs fins. Afin de contribuer à leurs efforts, l'angle d'approche suggéré par cette étude est de s'attarder aux conflits articulés sur la dynamique de la terre. Pourquoi?
La terre est un des constituants dynamiques de l'espace. Elle est historiquement le lieu de la socialisation. Aussi l'histoire humaine est beaucoup celle de la vaste majorité des conflits qui opposent des communautés, des populations, des individus, des institutions. Ces conflits ont souvent pour source l'occupation ou l'exploitation de l'espace, en règle général foncier, et, même si ce n'est pas l'enjeu de départ, il le devient très vite ne serait-ce qu'indirectement. Le caractère sacré de la terre dans l'histoire africaine et sa transformation en cours en objet de propriété; la persistance de modes d'occupation et d'exploitation coutumiers sur lesquels se greffent les lois foncières contemporaines de l'État africain - dont les frontières et la mise en valeur du territoire peuvent autant être aussi sources de conflits-, auront incité à privilégier cette dynamique foncière. L'enjeu de la terre apparaît donc ou finit par apparaître dans la plupart des conflits locaux. Ceux-ci peuvent à leur tour dégénérer et prendre des proportions démesurées.
Ce document se veut être un appoint aux efforts des acteurs régionaux des droits humains qui veulent par l'échange de compétences être à même de mieux résoudre pacifiquement des différends. Il existe aussi un besoin pour l'État et la société civile de s'entendre pour cerner et résoudre les dynamiques des conflits. Mais, il y a surtout une participation populaire et civique à promouvoir. L'étude se préoccupe donc avant tout de soutenir les intervenant-e-s à la base, ce qui signifie que le champs d'intérêt de cette réflexion demeure à un niveau "micro". Ceci ne doit en aucune façon faire perdre de vue l'importance et l'influence du niveau "macro" dans l'évolution des conflits. D'ailleurs, il n'y a pas forcément un déterminisme du "macro" sur le "micro" ou inversement, mais davantage une relation dialectique et une synergie interactive entre ces deux paliers de la réalité sociale. L'étude tentera de faire ressortir l'impact "macro" dans une brève mise en contexte dont l'esprit pourrait se traduire par la maxime désormais répandue " penser globalement, agir localement". Cette dimension macro, réfère principalement au processus dit de mondialisation, au rôle des grandes puissances, à la mise sous ajustement structurel, au désengagement et à la démocratisation de l'État africain. Dans plusieurs pays, on observe à cette faveur, une lutte pour l'appropriation des appareils de pouvoirs d'enrichissement et de contraintes liée à la raréfaction des ressources . Cette lutte qui a le plus souvent une connotation spatiale et parfois foncière est capable de dégénérer en conflits dont les incidences locales sont réelles. De même, des conflits locaux peuvent s'amplifier et prendre des connotations nationales voire internationales. On aura compris que ce qui nous intéresse de prévenir ce ne sont pas les antagonismes et autres oppositions constitutives du social, mais bien les conflits susceptibles de faire basculer la société dans la conflagration et dans le chaos.
Dans cette optique, les conflits locaux occasionnés par la question foncière ou qui ont une incidence pour elle seront ainsi cernés. Dans une première partie, à partir de cadres de conflits, nous tenterons de faire ressortir quelques aspects des questions foncières en Afrique. Nous examinerons quelques enjeux des conflits liés à la terre en zone rurale et en zone urbaine .
Ceci nous permettra enfin de mieux envisager quelques perspectives de prévention et de gestion des conflits en Afrique. Elles s'articulent sur un contexte politique volatile où la décentralisation, maintes fois préconisée, apparaît comme un incontournable moment de réorganisation politique par lequel les populations, en tant que collectivités de base, disposeraient de pouvoir de décision et d'administration de leur environnement local.
Rédigé en termes généraux l'article ne doit pas être l'occasion de faire le procès de régimes politiques en particulier, encore moins de dénigrer ou d'ériger en modèle telle ou telle pratique institutionnelle ou culturelle. L'objectif méthodologique ici est de partager l'information existante sur des problèmes identifiés à leur niveau de basse intensité, en suscitant des interrogations et des hypothèses de travail susceptibles de renforcer les débats, et de doter les acteurs et leurs populations de moyens pour mieux s'organiser à prévenir et à gérer les conflits, le tout dans une perspective régionale de concertation et d'échange .

1 - "Pensée globale action locale"
A - La nouvelle mondialisation et son lien avec les conflits.
1. Après le congrès de Berlin de 1885, l'Afrique a pris une physionomie qu'elle modifiera à peine à la faveur de quelques luttes de libération nationale. La plupart des formations nationales africaines issues du processus de décolonisation, entamé dans les années 50, n'ont pas encore été cristallisées au niveau national. En d'autres mots, on constate la rareté de sociétés nationales capables d'une maîtrise de leur accumulation, c'est à dire de se positionner en société nationale relativement autonome et centralisée au niveau politique économique et culturel. Dans un tel contexte, l'enjeu de la terre, comme l'hétérogénéité sont difficiles à gérer. Ces formations sociales n'en sont pas moins intégrées dans le système mondial comme États. Le système mondial est fondamentalement inégal comme ne cesse de le rappeler les rapports du PNUD. A l'orée du 21 ème siècle, les revenus des 358 personnes les plus riches du globe sont supérieurs à ceux de 45% des plus pauvres habitants. Les 20% les plus riches de notre globe disposent de 85% des richesses disponibles et les 20% les plus pauvres se partagent 1,4% du revenu mondial. 1,3 Milliards de personnes tentent de survivre quotidiennement avec moins d'un dollar. L'Afrique est, à ce titre, un véritable microcosme du système mondial, au niveau des écarts entre revenus, de sorte qu'il n'est pas erroné de dire que la misère y est le meilleur terreau des guerres..
2. Dans les années 90, le passage à un monde unipolaire sous la houlette de la Triade États-Unis -Europe -Japon, se caractérise par un redéploiement du mode de production capitaliste, récemment qualifié de "mondialisation". L'effet observable de cette "mondialisation" en Afrique est , pour l'instant, l'aggravation de la crise du développement et une convoitise plus accrue de certaines formations sociales par l'économie mondiale. En effet, les pays africains comme ceux du Tiers-Monde ont connu des taux de croissance de 4% en 1995, contre 1,9% dans les pays avancés et on prévoyait un taux de 4,5% pour 1996 . et un maintien de cette tendance jusque l'an 2000. D'autres parties du continent sont cependant mis en réserve voire marginalisées dans une condition infra-humaine, ce qui ne les empêche pas d'être maintenues dans le système mondial. Les interventions militaires directes ou indirectes de grandes puissances et d'intérêts privés dans certains conflits africains viennent le rappeler. L'État africain, déjà en crise, s'est retrouvé très vite du fait de sa nature hybride, de l'extraversion de ses économies, de son surendettement et des modes de gestion souvent peu patriotiques des deniers publics, soumis à des mesures d'austérité drastiques. Un peu partout, les programmes d'ajustement structurel, destinés à gérer la crise, payer la dette et à restaurer la croissance, intiment un désengagement de l'État.
3. La "déligitimation" de l'État, observée avant le désengagement, semble se poursuivre et occasionne une redéfinition de son rôle . Tout en veillant à ce que l'État ne reprenne pas certaines de ses prérogatives, les gros bailleurs de fonds, en plus de donner l'impression de le faire gouverner par procuration sont très préoccupés de transmettre certaines de ses responsabilités au privé ( privatisation, déréglementation), aux communautés de base( infrastructures municipales, santé éducation, police et gestion du territoire) et à des regroupements régionaux ( politique monétaire, libre échange ; communication et défense).
B - L'avènement de contre-pouvoirs
4. La décentralisation et la governance sont devenues deux panacées prisées des bailleurs de fonds, de certains intervenants de la société civile et de certains États. Il s'agit apparemment davantage d'un processus de déconcentration et de redistribution des pouvoirs de l'État dirigiste.

La société civile, par ses différentes organisations et acteurs, apparaît de plus en plus comme modèle de contre-pouvoir et garante de l'ordre social. Le mouvement de démocratisation à l'échelle étatique, avec ses succès et ses échecs, a ouvert la voie à l'organisation et à la participation des collectivités locales. De plus en plus abondent des espaces échappant au contrôle étatique. Les espaces délaissés ou perdus par l'État sont des lieux où peuvent autant prévaloir l'organisation que l'insécurité, et on y observe divers mécanismes de réorganisation sociale.
5. En climat d'insécurité, l'existence de conflits latents ou effectifs a des répercussions désastreuses sur les collectivités locales. Les antagonismes fragilisent les institutions et regroupements de la société civile, en érodant les bases du développement et en détournant les énergies humaines par des mécanismes de polarisation et de violence . Cette violence qu'elle soit sous la coupole d'intérêts militarisés ou criminels, devient plus difficile à prévenir et davantage à stopper.
6. La population civile dans un conflit intra-national a très peu de recours. Ce n'est que dans le cadre de conflits internationaux, que s'applique la quatrième convention de Genève pour la protection des civils en temps de guerre. En dehors des guerres dites de libération nationale et de sécession, l'affaiblissement du pouvoir d'État semble occasionner l'avènement de formes privées de violence prêtes à en découdre pour l'appropriation des véhicules de pouvoir, de contraintes et d'enrichissement. Dans tous ces cas, la partie de la population civile non participante est prise en otage.
C - L'importance de la prévention des conflits
7. Au regard des coûts humains, la prévention des conflits apparaît comme un investissement inestimable. Elle se caractérise, comme pré-alerte, par des mesures et des actions capables de déceler les poches de conflits latents, de prédire les risques et de les désamorcer, en réduisant la tension et en évitant leur résurgence. Il faut cependant relativiser la portée de ces mesures de prévention qui peut être dépassée par l'ampleur d'une réalité. D'une part, il ne faut jamais perdre de vue que tant que les causes du conflit ne sont pas résolues il y aura résurgence, d'où l'importance de distinguer le symptôme de la cause. D'ailleurs une école utilise le terme de provention plutôt que celui de prevention pour signifier que le premier s'attaque au source du conflit alors que le second a comme fonction de le contenir. D'autre part, lorsque la trame sociale d'une collectivité est la violence orchestrée par l'autocratie, ou le monopole des moyens de production et de consommation- comme le fut le régime d'apartheid - les contradictions générées par la rareté et la frustration sont si chroniquement exacerbées, qu'il peut paraître vain, pour ne pas dire moralement peu souhaitable, d'essayer de tempérer un conflit dont l'issue est susceptible d'être salutaire pour cette population.
8. C'est pourquoi, il est de la responsabilité des États de la société civile et des intervenants du développement de la communauté internationale de s'employer à prévenir les conflits en conformité avec le respect des droits de la personne. Certes, les contradictions socio-économiques et politiques sont inévitables et l'affrontement peut même être profitable dans le sens du changement social et du développement. Dans un climat où la justice est garante de l'État de droit, de telles contradictions peuvent évoluer sainement sans hypothéquer la paix sociale. Il est donc une responsabilité des parties évoquées précédemment de veiller à déceler toute atteinte à la sécurité des personnes et des biens pour assurer un développement économique équitable et la démocratie.
9. Les ONG et la coopération au développement constituent un facteur de poids susceptible de prévenir et de gérer certains conflits dans le sens de la démocratie et du développement durable. Leur position stratégique avec les populations à la base les privilégient comme acteurs de soutien des mécanismes de prévention et de règlement de conflits. Pour celles qui se spécialisent dans ce champs, comme pour celles œuvrant dans des domaines connexes, la prévention des conflits est un outil essentiel pour mener à bien leur œuvre de soutien des collectivités locales. Leurs activités lors d'un conflit non seulement sont perturbées, mais la nécessité de justifier constamment leur droit d'ingérence ou leur impartialité ne désamorce pas pour autant certaines pressions sociales à leur encontre. C'est pourquoi il vaut mieux qu'elles investissent leurs efforts dans la prévention des conflits.
11. Résoudre des conflits entre les personnes ou entre des pays est une fonction du droit. Le conflit marque en effet le champ d'application du droit qui a comme fonction de le prévenir et de le régler. Les conflits sont donc inhérents au droit. Le droit aussi est source de conflit et ne doit être apprécié que comme processus d'arbitrage non figé et susceptible d'être toujours perfectionné dans le sens de l'impartialité. Car la loi peut correspondre à la défense d'intérêts inavoués et restera le produit de compromis basés sur des arbitrages. La loi prend la forme d'une norme correspondant, lorsqu'elle a été édictée, à un rapport de force défendant un intérêt. C'est pourquoi, lorsque le droit se porte comme tierce partie dans la prévention ou le règlement des litiges, il faut lui imposer la transparence, et la possibilité de régulation. Il reste à préciser toutes les modalités de l'assistance, et à favoriser une convention claire entre assistant et assisté sur la façon par laquelle sera résolu le différend. A ce titre, toute partie engagée dans le conflit est responsable devant l'histoire. Depuis 1992, les pays africains se sont engagés devant l'OUA à se doter de mécanismes pour résoudre leurs conflits. En plus de leur nécessaire impartialité, ces mécanismes de prévention, de médiation, de conciliation et de règlement, lorsque mis en œuvre, n'affecteront pas seulement les protagonistes, mais la société entière. Celle-ci, comme conscience collective, est l'écho des mesures, le témoin, mais aussi la bénéficiaire capable autant de perpétuer la fonction dissuasive que de générer la tension.

2 - La problématique des conflits liés à la terre
A - Quelques précisions sur les conflits
12. Les conflits, dans un contexte de sous-développement et d'impunité, sont des facteurs d'instabilité chroniques et non des épiphénomènes. Nous nous intéressons surtout au type de conflit qui, comme litige ou dispute, est susceptible de dégénérer en affrontement violent au point qu'il faille qu'une tierce partie intervienne afin d'éviter que les protagonistes n'en décousent davantage. Le conflit en gestation ou larvé peut prendre la forme agressive précédent l'affrontement, et il se caractérise par invectives, provocations, tensions manifestes et exacerbées, voire larvées ou volontairement occultées. Le conflit peut dégénérer de la phase du discours au non verbal, à l'intimidation, au chantage et à l'acte physique. L'agression physique est un prélude aux expéditions punitives, au terrorisme, aux vengeances, à la guerre et autres actes belliqueux et martiaux. Comme processus dynamique, le conflit n'est jamais définitivement résolu, car les peuples, et surtout leurs élites, malgré des amnésies passagères et de spectaculaires refoulements, sont capables de réactiver des germes enfouis dans le mythe, l'idéologie ou l'histoire qui est d'ailleurs souvent celle des vainqueurs. La résurgence de conflits relève alors de forces agissantes au moins en terme d'action et de réaction.
13. Il existe un certain pluralisme des conflits. Ils sont de l'ordre de la normalité historique des sociétés. Certes, davantage dans les sociétés misant sur la modernisation de leur système de production et de consommation, du fait de la compétition, le degré d'intensité et de violence sont des indicateurs de la gravité du conflit. Ainsi, sans vouloir banaliser les conflits, constatons qu'ils existent surtout comme expression du pouvoir dans toutes les sphères des sociétés humaines: conflits de classe, de génération, d'intérêts, de société, conflits entre sexes, entre groupes, entre pays dominants et dominés et en leur sein , etc. Les conflits sont avant tout conflits d'intérêts susceptibles d'exister en dehors des croyances, voire de la conscience de celui qui en est porteur. En somme, déterminé par la structure sociale ambiante, le conflit a sa dynamique objective, véhiculée par l'appartenance à une religion, une famille, un groupe ethnique, une classe, une nation... Ceci n'exonère personne organisme, individu ou société de ses responsabilités et de sa participation à la recherche effective de la paix.
14. En raison de ces complexités, nous avons choisi de traiter des conflits liés à la terre, sans pour autant dresser une typologie qui en découle, mais en retenant la terre comme sujet ou objet.
B - Quelques contextes où peuvent surgir des conflits liés à la terre
La question nationale et le Territoire

15. La question nationale liée à la terre c'est avant tout la question du territoire. En Afrique dans la majorité des États contemporains, la nation naît de l'État d'indépendance négociée. Quelques luttes de libération nationale ont cependant arrachée par la force leur territoire et affirmée leur souveraineté nationale. L'État est le vecteur d'une citoyenneté qui a comme cadre le territoire national à défendre. Une défense réalisée par la force militaire contre l'agression extérieure et par l'ordre judiciaire et le civisme à l'intérieur. Ce territoire est le résultat historique des vestiges de l'ère pré-coloniale, de l'empreinte coloniale et des recompositions de la décolonisation. Il en découle que sa taille et ses richesses occasionnent parfois des situations paradoxales de petits pays trop pourvus et de grands dépourvus, ou d'États-nation ayant des ethnies communes etc..
16. Second continent par sa taille , l'Afrique est le plus morcelé en territoires. Le territoire est le creuset du discours nationaliste, sa manifestation idéologique sublimée par l'hymne national, par l'incantation et les louanges de sa beauté et de son originalité afin de magnifier et cristalliser l'identité nationale. Plus que le drapeau, la terre et le territoire ont un contenu plus emblématique dans l'inconscient collectif des Africains davantage attachés à leur terroir qu'à la nation contemporaine. Le territoire est donc le véhicule de l'intégration nationale. Mais, à partir de lui, la nation comme le nationalisme d'ailleurs, se distingue toujours en fonction d'une autre. Voilà pourquoi si souvent universellement l'hégémonie d'une nation se traduit par l'occupation physique du territoire d'autrui et que les luttes de libération nationale comme de sécession, font de la conquête du territoire leur premier objectif. A ce titre, c'est un lieu commun de souligner que la terre dans l'histoire humaine est objet de luttes d'appropriation et de luttes de résistance.
17. Il est bien difficile de reconnaître le bon et le mauvais nationalisme. D'habitude, l'adhésion des populations et la reconnaissance de la communauté internationale servent de bornes de différenciation. Ces dernières sont loin d'être infaillibles et désintéressées, et il existe de nombreux contre-exemples, du fait des contradictions en conflits au sein du système mondial, qui soutiennent le droit à la souveraineté de tel ou tel nationalisme.
La frontière
18. La garantie du territoire national est la frontière. Les États africains ont enchâssé paradoxalement au sein de l'Organisation de l'Unité Africaine le principe de l'intangibilité des frontières. Dans la plupart des pays africains, la frontière n'est pas balisée et les populations voisines des lignes frontalières commencent à peine à prendre conscience de leur différence nationale, incapables de gommer leur commune identité culturelle et biologique. Dans plusieurs autres cependant, qui ne sont pas en bon terme avec leurs voisins, on observe une surveillance accrue aux bornes frontalières et une tension de part et d'autres des démarcations. Les ressources naturelles, les zones litigieuses frontalières, le problème des contrebandes, celui des guérillas, de l'immigration, de réfugiés et de déplacés occasionnent à ce titre bien des conflits dans ces zones aussi.
La présence de forces extra-africaines dans les conflits en Afrique
19. Les rapports de domination suscitent une occupation directe ou indirecte de certaines zones africaines par la force militaire et les services de renseignement de certaines grandes puissances. Du fait d'accords de défense, d'alliances tacites ou occultes, ces grandes puissances participent à des conflits en sol africains. Leur action vise soit à soutenir un régime, soit à s'en débarrasser et /ou à préserver l'accès à des richesses; à assurer la sécurité de leurs ressortissants; à participer à une interposition internationale ou onusienne; ou finalement à préserver une certaine image face à leur opinion publique. Il faut aussi mentionner qu'il est arrivé que des pays africains servent les intérêts de ces puissances contre des pays voisins.
20. Du fait des moyens d'intervention rapides on note une tendance à la baisse des effectifs militaires extra-africains stationnés sur le continent. Ceci n'exclut pas un rôle actif au profit de tel ou tel intérêt. A ce titre, même les conflits locaux capables de prendre de l'ampleur peuvent susciter l'implication de certaines puissances- États ou multinationales- si leurs intérêts sont en jeu. Ces forces étrangères peuvent recourir à une armée régulière comme à des mercenaires dans leur participation au conflit. L'omnipotence des forces extra-africaines découlent de la faiblesse de l'État africain et de son incapacité de se doter au niveau continental d'une force d'interposition.
Dimension religieuse et symbolico-culturelle
21. Attachés à la terre et à ce qu'elle symbolise historiquement, c'est à dire la génitrice sacrée et nourricière à laquelle on peut même parfois vouer un culte, les Africains peuvent s'opposer en conflit pour des raisons religieuses ou culturelles et symboliques. La religion et la culture n'ont certes pas une fonction exclusive dans leur rapport au sol, il n'en reste pas moins que le prosélytisme religieux ou culturel dans la défense du territoire- le sol , la forêt ou l'ancêtre sacré- ou dans son extension peut générer des conflits. Ces tentatives de promouvoir ardemment ses convictions religieuses peuvent se faire par des moyens détournés au niveau foncier, ( construction d'infrastructure d'éducation, de santé, œuvres de bienfaisance, champs et coopératives) ou directe comme l'occupation et la colonisation d'espace .Là, les tendances intégristes et autres manifestations d'intolérances à la différence sont des ferments à la confrontation brutale. Les phénomènes de cet ordre sont rares du fait du syncrétisme africain et des foi et pratiques culturelles peu étanches. Il n'en reste pas moins que les religions ont introduit et façonné différents rapport au sol.
22. Bien que l'ayant précédé le Christianisme a semblé emboîter le pas à la colonisation européenne en matière foncière en l'humanisant parfois. L'Islam, davantage au Maghreb, mais aussi sensiblement ailleurs où il s'est enraciné, a changé le régime des biens fonciers ainsi que leur mode d'attribution et de succession. Comme souvent un peu partout en Afrique, la propriété foncière en Islam est sacrée et inviolable et semble se ramener en 5 catégories de terre (morte; vivante- ou Melk avec droit de propriété, de jouir et de disposer -, de dîme; de kharadj -usufruit sur un droit de propriété- et habous, terre pour une œuvre de bienfaisance). Les différentes confréries et pratiques culturelles traditionnelles négro-africaines du droit auront contribué à former à partir de ces catégories des structures foncières particulières et originales.
Dimension sociale: famille, groupe, communauté, collectivité
23. Dans leur rapport à la terre, les conflits qui touchent ces composantes sociales seraient longs à énumérer. Il importe cependant de mentionner l'esprit communautaire comme fondement des sociétés africaines dans leur rapport à la terre appréhendée comme bien collectif. En effet, la terre originellement ne pouvait être une propriété exclusive d'un individu, qui n'en possédait en réalité que les fruits de son labeur, permis par sa première occupation du sol. Il faut dire en général que les philosophies de vie africaines préconisaient davantage l'être que l'avoir, et ont favorisé surtout le droit d'usage. Les devoirs à l'égard du groupe sont obligatoires à la reconnaissance sociale. La famille élargie étaient le ciment du social. Le groupe se rassemble autour d'objectifs dont la vocation est d'assurer l'harmonie et la cohésion sociale. Il existe pratiquement toujours un maître symbolique de la terre et l'individu n'en dispose que parce qu'il appartient au groupe.
24. Sur un territoire, la communauté locale se distinguait par son aptitude à l'autosubsistance ou à la spécialisation dans une production lui permettant l'autonomie vis à vis d'autres communautés, avec lesquelles existaient cependant diverses relations. La terre et donc le terroir, la coopération et la famille élargie articulée sur l'ethnie, voire le lignage ou la caste assuraient une reproduction en tant que système social. Obligation et devoirs, échanges de services, de biens, et de personnes sont au cœur du rapport à la terre.
25. Comme nous le verrons plus loin, les femmes et les plus jeunes seront en règle général défavorisés dans les mécanismes d'acquisition des sols, à l'exception de quelques sociétés. Il importe aussi de ne pas perdre de vue que partout, où par la force, il y a eu dépossession des sols dans la phase pré-capitaliste- (surtout dans les sociétés très hiérarchisées dans lesquelles le statut social était héréditaire)- comme dans la phase coloniale, la recomposition des pratiques foncières se fera au détriment des pratiques communautaires d'antan. L'État moderne lui, conçoit l'enjeu foncier en terme de contrôle et de ponction de la rente urbaine, d'aménagement du territoire agricole aux fins de l'encadrement des cultivateurs et la captation de leurs circuits productifs.
26. Les conflits ethniques liés au sol se font dans cette optique sur la défense du droit d'occupation ou d'exploitation du territoire. La loyauté au groupe ethnique alimente dans certains cas le conflit. Bien souvent, il y a une superposition entre ethnie et accès aux chances de production et de consommation. Pour dépeindre plus facilement cette situation, disons qu'un rapport de classe se profile derrière le conflit.
27. La fragmentation sociale et l'apparition de classes ou de fractions de classes sociales accentuent la lutte pour l'appropriation des terres et la circulation des biens et services Ceux qui ont le plus de moyens imposent de plus en plus leur desiderata en la matière, quitte à bouleverser les pratiques coutumières, tandis que la débrouillardise des autres amplifie les conflits. Les phénomènes d'acquisition sont présentés comme exigences de la modernité. C'est par le prétexte de la modernité que l'érosion des acquis fonciers sera la plus grande.

28. La modernité va contribuer à accélérer les processus "d'individuation" en distendant les liens, les allégeances et les obligations, en réduisant le domaine communautaire au réflexe de l'accumulation des terres comme patrimoine individualiste. C'est le commencement de la fin de l'inaliénabilité de la terre. La transmission indivise des patrimoines fonciers résiste toutefois tant bien que mal aux nouveaux modes d'appropriation fonciers occasionnant néanmoins de nombreux conflits.
29. La vie citadine et les exigences de production à la campagne vont accélérer le processus de sédentarisation résidentielle en faisant de la maison et du lopin familial et individuel des biens prisés. Le foncier et l'immobilier deviennent biens durables recherchés par l'individu sur une base qui n'est parfois ni la thésaurisation ni l'investissement improductif. La terre est un investissement sûr en général, et sert de refuge autant aux rentiers de situation qu'aux petits épargnants.
30. La pression démographique occasionne une grande promiscuité, la rareté des terres, une surenchère des coûts fonciers, ainsi qu'une occupation accrue des terres. La ségrégation résidentielle des périodes coloniales a soit persisté, soit laissé place à une superposition de quartiers de standing mixte. Les périphéries sont d'avantages le lieu de déversement d'une sur-urbanisation c'est à dire d'un entassement résidentiel sans que les infrastructures y afférentes soient réunies. Il ne s'agit pas d'habitats massifs, ou de squatt spontanés comme en Amérique Latine, mais de processus graduels d'occupation en grappes qui ajoutent à la tension foncière. L'ingéniosité des pratiques foncières des villes africaines ne s'arrête pas à l'autoconstruction spontanée vétuste et passagère. La marge pour construire, aussi étroite soit-elle, est savamment utilisée par les défavorisés qui se forgent eux mêmes les mécanismes de leur intégration sociale, et imposent leur adaptabilité. Toute décision d'urbanisme des autorités, comme les occupations dites illégales, sont des sources majeures de conflit. Spéculation et dépossessions, exploitation et titres frauduleux, évictions en sont des temps forts. Il importe donc de comprendre que le sursaut communautaire peut mettre en valeur les territoires et assurer des services essentiels. Cet engagement impose certes une volonté politique et une coordination des efforts entre l'État la société civile participante et les bailleurs intéressés, en réduisant les possibilités de conflit par le soulagement de la pauvreté.
Économie, propriété et accumulation foncière
31. La transformation des droits d'occupation coutumiers en droits de propriété et l'avènement de patrimoines individuels par le morcellement des domaines collectifs du domaine national est au cœur de l'accumulation foncière. De même un peu partout, la problématique du développement est interpellée par la question de la sécurité de la propriété. Les avantages hypothécaires sensés attirer d'un côté des investisseurs peuvent paraître dérisoires pour certains d'entre eux rebutés par la rare fonction sociale et morale des obligations de mise valeur du territoire octroyé, ou par des taxes sur le rapatriement des bénéfices de la plus-value foncière.
32. Quoiqu'il en soit, à la faveur des plans d'ajustement structurel, l'emphase sur la croissance occasionne une intensification des monocultures ajoutée à la diversification des cultures, ce qui, dans le caractère extensif des agricultures africaines, est un gage de luttes foncières toujours accrues L'emphase sur la privatisation et l'économie de marché occasionne une flambée de transactions légales ou illégales. On peut se poser la question de savoir si la privatisation préconisée garantit la sécurité foncière pour tous ou si le processus de sécurisation est biaisé d'office en raison de l'inflation des coûts de la terre et sa solvabilité? Un peu partout, devant les projets agricoles et les aménagements urbains de l'État ou du privé soutenus ou non par les bailleurs de fonds, se pose avec inquiétude la question au point que certains préconisent des états généraux du foncier.
33. Dans les zones urbaines qui n'en finissent plus de s'étendre vers les zones rurales, le foncier, valeur refuge et source d'un enrichissement pour ceux qui y ont accès, traduit toute la complexité des stratifications économiques entre propriétaires, utilisateurs, débrouillards etc. Plusieurs études ont dépeint l'inégal accès au statut de propriétaire. Le propriétaire n'est d'ailleurs pas le seul à vouloir tirer profit du foncier, pour lequel abonde une cascade d'intermédiaires prompts à s'entremettre. La mercantilisation des tenures en dehors des circuits légalement sécurisés tend à s'imposer en pratique normale. Les spéculations et autres transactions ne peuvent ignorer la complexité du social, comme elles figent dans le rapport à la terre les disparités économiques et les chances des citoyens devant le droit et l'État. Il n'est donc pas exagéré de reconnaître que les motifs économiques sont à la racine d'une majorité de conflits fonciers en raison de la poursuite de l'amélioration des conditions de vie et les lois bien des fois insatiables du profit.
34. La propriété privée des moyens de production, devenue l'apanage d'un nombre de plus en plus restreint d'individus, occasionne une omnipotence des pouvoirs du propriétaire. Le propriétaire impose sa loi ou a souvent les moyens de la rendre plus flexible à ses intérêts. Cela se vérifie notamment lorsque c'est un nouveau riche, plus prompt à passer outre les mécanismes d'acquisition en vigueur. De même, en s'y conformant, ce n'est pas toujours qu'il pourra prouver légalement son droit de propriété. Ce qui importe le plus souvent lorsque survient une situation qui l'expose au conflit semble être le "social-narcissisme", en somme à travers le culte de l'apparence défendre avant tout son statut social qui peut ou non correspondre avec l'avoir d'un patrimoine foncier et immobilier.
35. Aux termes de ce qui précède, il importe pour les intervenants dans les conflits afférents au foncier et aux citoyens, de saisir partout spécifiquement comment s'acquiert et se gère un patrimoine foncier? Qui peut se prévaloir d'un titre foncier? Comment peut-on en disposer? Comment les citoyens pourraient-ils avoir d'avantage accès aux domaines publics et privés de l'État? Sur quelle base est redistribuée le domaine foncier national? Quelle est le degré de transparence de la monétarisation des titres et des droits d'exploitation ou d'appropriation?
Pouvoir, autorité et décentralisation
36. Dans les découpages électoraux municipaux, ruraux et régionaux, et dans la mise en œuvre de la production et de la distribution, la terre prouve toute son importance politique. Un peu partout en Afrique, l'État s'est doté d'un pouvoir domanial fort pour lequel ses acteurs principaux ont souvent pu se tailler des parts avec ou en concurrençant d'anciens pouvoirs coutumiers. Que se soit pour monnayer des alliances, recomposer une configuration territoriale en prévision d'un scrutin, ou pour un enrichissement patrimonialiste alimentant des structures de clientèle à travers la rente foncière, l'État lutte parfois contre lui même. C'est que partout des règles strictes sur la transparence et la conformité de l'État avec la loi existent. Pourtant, il arrive, du fait d'une corruption souvent institutionnalisée , qu'il y ait des fonctionnaires complices ou auteurs de pratiques illégales. A l'encontre de ce qui vient d'être souligné, des cas litigieux et illégaux sont portés à la connaissance publique, parce que subsistent tout de même des responsables qui font leur travail, ce qui a aussi comme fonction de légitimer le pouvoir.
37. L'abus du statut d'autorité est au cœur des conflits. C'est par exemple le cas de l'autorité bienfaisante lorsqu'on est coopté par le pouvoir par la grâce du favoritisme, le népotisme ou une des nombreuses formules existantes Il en découle alors la possibilité de voir le conflit tourner en sa faveur, et se voir aliéné une terre. Mais aussi autorité dominante, gangrenant le tissu social en provoquant le ressentiment devant le manque de logement social, la soif des terres ou leur stérilité agricole, et par conséquent occasionnant l'impuissance et les moyens désespérés qui conduisent, comme dans la réaction contre la situation précédemment évoquée, au conflit.
38. L'autorité de l'État s'érodant à la faveur des décentralisations, il n'est pas surprenant de voir, dans des contrés reculées, de puissants petits fonctionnaires disposant d'un immense pouvoir discrétionnaire et concurrençant l'État sur son terrain. Ailleurs, certains exécutent avec zèle les desiderata des pouvoirs politiques, en profitant de la délégation de pouvoir à la faveur de la décentralisation. Il semble en résulter des processus de recomposition foncière issus de fractionnement ou de fusion de pouvoir dans l'appareil d'État et le milieu des affaires, mais aussi de la désaffection, et /ou d'une autonomisation organisée d'acteurs dans la société civile.
39. Avec les chevauchements des compétences et l'imprécision des mandats des élus locaux, on peut se demander quand derrière les slogans de la décentralisation véritablement existeront des communautés locales qui s'administrent librement sans le contrôle parfois oppressant des préfectures et des gouverneurs de région? Existe-t- il une formation adéquate informant des voies et moyens du gouvernement local et des responsabilités en matière foncière? Les organismes locaux de gestion foncière dépendent-ils de l'administration territoriale ou sont ils indépendants de l'État? Comment assurer l'autonomie des collectivités locales dans des circonstances où l'État ou d'autres puissants imposent des regroupements fonciers intercommunaux par leur plans d'aménagement et leurs incitatifs financiers contre le gré des populations? Comment permettre que les collectivités, en passe de s'organiser ou déjà organisées, disposent de compétences et de ressources financières adéquates et d'allégements fiscaux pour accomplir leur dessein?
40. Habituellement lorsqu'il n'y a pas de réponse positive à ces situations en faveur des défavorisés, pratiquement seule l'allégeance, sinon de solides relations au pouvoir de l'heure aident tout propriétaire ou requérant pour l'acquisition, l'immatriculation, le droit de propriété, la plainte. Petit à petit se réunissent à la base des groupements et associations plus ou moins économiques et politiques qui contestent des mesures d'aménagement de territoire, d'urbanisme ou d'allocation administrative des terres. Elles n'ont malheureusement pas beaucoup de moyens pour mener à bien une procédure contentieuse, ni de moyens appropriés pour réaliser leurs attributions. Il y a plusieurs raisons à cela.
41. D'abord le flou et la langue de bois juridiques des experts fonciers ainsi que les réminiscences des modes d'usages savamment entretenus par certains notables provoquent une sorte d'ordre dans le désordre des croisements coutumiers oraux et modernes écrits. Ensuite le manque de culture civique de pans de la population et l'ignorance de ses droits y sont pour beaucoup. La faiblesse des moyens financiers est un obstacle pour beaucoup d'intéressés et de plaignants. De plus les droits ne garantissent pas pour autant la propriété et l'exploitation foncière. En outre, la peur de s'attaquer à plus puissant que soi, laquelle semble trouver ses origines dans les raisons de l'obéissance de l'africain traditionnel à un fatalisme métaphysique, est un frein aux efforts. Au surplus, la crainte d'être marginalisé par le groupe joue également, car le semeur de trouble, celui qui cherche querelle et qui invective, est souvent honni par les critères de la cohésion sociale. De même la peur de fétiches plus forts brandis par l'adversaire dissuade bien des recours. Enfin, des représailles, intentées contre soi ou les siens, découragent parfois des initiatives. Néanmoins, puisque toute loi n'existe que parce qu'elle peut être transgressée, parfois même en faisant fi du droit ou en se dotant d'un droit sur mesure, émaillé de syncrétisme coutumier et moderne, les populations défavorisées adaptent le foncier à leur besoin, le temps d'un usage, jusqu'à ce que la coercition du propriétaire étatique ou privé ne sévisse. A ce moment la résistance occasionne souvent le conflit.
La lutte pour la possession des ressources et moyens de production
42. L'agriculture, la foresterie, l'élevage, la pêche, l'eau, les moyens de communication, les ressources minières.. font de la terre un objet de convoitise phénoménal.
43. Les luttes de sécession politiques et les mouvements militarisés qui s'assignent la vocation de s'approprier un territoire ou de renverser un régime sont fondamentalement préoccupés de posséder, et d'organiser l'espace foncier. Il va s'en dire que bien des pays africains sont exposés, à un degré ou à un autre, à cet aspect du problème, puisque des populations, des groupes sociaux se sentent lésés du fait de leur appartenance ethnique, politique, régionale, sociale quant à l'accès à ces opportunités. Les élites ont une part de responsabilité dans le choix de mobiliser des organisations populaires pour obtenir par la force des revendications ou sauvegarder des acquis.
44. Mais le rapport conflictuel ne réside pas seulement entre l'État et d'autres forces extra-étatiques; il se situe aussi au sein des forces dominantes de certains États qui, à la faveur des mouvements de démocratisation, se dotent de milices pour épauler leurs fins politiques. Le rapport conflictuel existe aussi entre populations défavorisées qui ne peuvent indéfiniment s'ingénier dans toutes les circonstances à des gestes de solidarité.
45. Le conflit se loge dans le tissu social aussi, lorsque agriculteurs de cultures différentes se querellent, ou qu' agriculteurs et éleveurs s'opposent, ou encore que pêcheurs et agriculteurs se battent, et que tout cela s'exacerbent à la faveur des spéculations foncières de compagnies, pontes de l'État, ou ''latifundistes'' . Le conflit est notable lorsque déguerpis, réfugiés ou déplacés s'installent et tentent de survivre. Les conflits existent lorsque les salariés et les travailleurs se heurtent à l'État, lorsque les étudiants descendent dans la rue; quand des émeutes de la faim protestent contre les dégradations des conditions de vie; lorsque des minorités ethniques sont prises à partie. Nous n'insisterons pas sur tous les germes et l'évolution des conflits liés à la terre en zone rurale et en zone urbaine dans plusieurs pays africains relativement documenté et discuté lors d'une rencontre francophone africaine. Il faut seulement ajouter que la réforme agraire, l'État de droit et la volonté politique pour soutenir une participation populaire démocratique désamorcent la plupart des conflits de cet ordre.
46. Le conflit subsiste mondialement au niveau écologique comme l'a démontré le Sommet de la terre. Dans les zones urbaines et rurales il y a conflit contre le pollueur industriel ( rejet, épanchement enfouissement de déchets toxiques) ou contre le pollueur agricole ( de la surexploitation des sols à l'utilisation inconsidérée des phytosanitaires). Les méga-projets industriels, agricoles, hydrauliques, touristiques ont souvent des incidences conflictuelles.
Des infrastructures urbaines déficientes et incapables d'assurer un développement futur des quartiers sont aussi des germes de conflit. Les bidonvilles sont symptomatiques de l'échec de l'urbanisation en Afrique. Le conflit existe parfois contre ou en raison les chasseurs de loisirs qui outrepassent leur zone, ou disposent de territoire qui pourrait avoir une autre vocation. C'est tout l'enjeu de l'avènement d'un écotourisme respectueux du foncier et de l'environnement.
Le conflit social est latent et souvent impuissant face aux moyens militaires qui gangrènent la terre à l'instar des mines antipersonnelles et autres manoeuvres militaires. Dans toutes ces conditions apparaît la nécessité d'une nouvelle politique foncière et de gestion des ressources non renouvelables.

3 - Prévention et gestion des conflits
A - Permettre un climat de confiance et clarifier les enjeux
47. Attachons nous tout d'abord à rappeler deux évidences . D'abord qu'il est plus facile de prévenir que de résoudre un conflit. Ensuite combien il est important, dès le départ, de tenter d'instaurer la confiance. La confiance des parties assistées à l'égard de l'assistant est capitale. Le médiateur doit justifier aux deux parties le bien-fondé de l'impartialité qu'il prétend adopter . La méfiance et la suspicion, même justifiées par certaines circonstances, si elles persistent dans le processus de médiation et de prévention d'un conflit, hypothèquent de beaucoup son issue pacifique.
48. Il faut dès le départ s'assurer que les protagonistes se distinguent bien au moins en deux groupes identifiables. Souvent en réalité, il existe plus que deux intérêts en conflit, au moins un troisième intérêt. Il y a lieu ensuite, en veillant à ne pas susciter de traumatisme, rappeler aux protagonistes les risques et conséquences de la précarité, et de la désolation, qu'instaurerait la dégénérescence d'un conflit. Il faut aussi montrer les difficultés de la reconstruction post-conflit, sans bien sûr préjuger de l'ampleur qu'elle peut avoir, mais en suggérant au passage des exemples historiques existant ailleurs. Ceci n'a pas pour but de générer la culpabilité mais de timorer les parties en laissant entrevoir la portée de responsabilités qui leur incombent . L'importance de dépeindre un tableau le plus fidèle de l'impact potentiel d'un conflit sur la société, ses infrastructures et ses superstructures, en somme sur la perte de ce qui rapproche plus que ne divise les protagonistes (donc leur intérêt commun) est un premier pas vers la prise de conscience de la portée de l'enjeu.
49. La prévention doit s'assurer que les parties comprennent très clairement leurs positions mutuelles. Ceci est aussi l'occasion pour les assistants comme pour les assistés de bien saisir les termes de la démarche et de la médiation, et d'instaurer un minimum de confiance dans la poursuite du processus.
B- Le rôle de ceux qui veulent prévenir et résoudre les conflits
50. Il ne faut surtout pas surestimer la fonction d'arbitrage des intervenants de la prévention et de la gestion des conflits. Il est vrai que leur autorité morale incite à recourir à eux pour trancher les litiges les plus aigus. Lorsqu'ils y parviennent d'ailleurs, rien ne prouve que le conflit soit surmonté pour autant. Il peut y avoir récurrence et résurgence à tout moment. Une des causes vient du fait que l'on ne met pas suffisamment l'emphase sur l'autonomie interne de règlement des parties en conflit.
51. L'autonomie interne dans la négociation signifie accorder plus d'importance aux acteurs du conflit, qu'à l'autorité qui veut le résoudre. En d'autres termes, la mise au point des positions au grand jour dans une réunion doit être l'occasion d'un affrontement des idées et le moment de l'étalage des preuves. C'est le rôle des arbitres de susciter ces débats et de déceler la mauvaise foi; de suspendre ou de poursuivre la réunion selon que l'on régresse ou que l'on progresse; de favoriser les argumentations constructives menant à la clarification des positions, de rassembler les convergences et les divergences pouvant ouvrir au consensus, sinon au compromis sur certains points.
52. A l'issue de telles rencontres, il y a plus de chance que le sentiment général soit la participation collective et responsable aux décisions et aux engagements pris. Au pire, on aura, (à l'instar de ceux qui se préparent face à une inondation ou un tremblement de terre) réussi à faire comprendre les enjeux , à mettre sur pied une cellule de crise, et à générer une conscience collective dont l'impact sera à terme de réduire les effets de la catastrophe anticipée.
53. Les acteurs de la prévention et gestion de conflit doivent s'attarder à l'importance de la destruction ou de la perte des biens fonciers à l'issue d'un conflit, et surtout sur les difficultés juridiques de voir réintégrer, dans leur droit nouveau ou ancien, l'un ou les protagonistes. Au préalable, les intervenants de la prévention devront connaître l'état des fondements juridiques et la légitimité du système judiciaire existant.
54. La pré-alerte est une réaction due à une recension objective de plusieurs signaux alarmants détonnant avec un certain climat social habituel et esquissant les signes d'une dangereuse escalade. Les ONG , les intervenants à la base et autres diplomates doivent à ce moment déployer des efforts d'information et de médiation pour connaître les positions et évaluer l'évolution de la situation comme des mesures à prendre.
55. Tous les acteurs habituellement impliqués dans les missions de maintien de la paix sont tenus de participer à la phase de vigilance de pré-alerte en tentant de prévoir les étapes ultérieures et les mesures à prendre pour y pallier. C'est là que les observateurs et intervenants locaux ont le plus grand rôle à jouer, car leur capacité d'anticipation dépend de leur profonde connaissance des enjeux et des événements du passé. Il est vrai qu'à ces moments, les moyens de vérifier les rumeurs souvent distillées par les parties adverses, colportées par les peurs sociales ou par des médias très subjectifs peuvent induire en erreur le processus. Il faut cependant s'évertuer à multiplier et corroborer les sources d'information notamment lorsque l'on a accès aux parties en conflit.
C - Maximiser les chances de prévention et de gestion par des techniques d'échange
56. Il est important de tenter de compiler et de colliger et plus tard d'évaluer l'information à partir de questionnaires, ou alors, dès que cela est permis, par des réunions de contact, de médiation, ou de négociation, axées sur les décisions et les initiatives avec les principaux intéressés du conflit. Il importe de s'attarder sur un certain nombre de points pour réussir une prévention ou gérer un conflit.
Par exemple:
1 Degré de participation
• En quelle qualité êtes vous impliqués dans cette affaire?
témoin? partie prenante? acteur?
• Avez- vous participé à cette affaire de plein gré ou sous la contrainte? Pourquoi
• Avez vous l'impression d'avoir, par votre participation, influencé la décision ou l'événement?
2 Cerner ce qui se passe :
• Comment et quand le problème est-il survenu?
• Qui a provoqué l'événement ou émis la décision? Pourquoi?
• Qui a exécuté la décision ou l'acte ?
• Y- a t-il à votre connaissance des témoins?
• Y- a-t-il eu une personne d'autorité qui a été au courant de la décision ou de l'acte?
• Quelle est votre propre participation dans l'évolution de l'événement et à quelle moment êtes- vous intervenus?
• Qu'avez vous essayé de faire?
• Qu'est-ce que vous n'avez pas réussi à faire et pourquoi?
3 Identification des protagonistes
• Qui sont les protagonistes et quelle preuve a t-on de leur implication? Quel degré d'usage de la force a été utilisé?
• S'agit-il d'exécutants ou de commanditaires?
• Y a-t-il des victimes?
• Peuvent-elles ou veulent-elles témoigner?
• Que disent les victimes de tout cela?
• Avec qui dans l'autre camps vous entendez vous le mieux, sinon à quelle condition pensez-vous pouvoir vous entendre?
4 Identification de l'intérêt poursuivi
• Pourquoi ont-ils agi ainsi?
• A votre avis, quel intérêt est poursuivi par l'action ou la décision posée?
• Comment évaluez-vous votre propre attitude par rapport à cela:
en accord? en désaccord? neutre? hostile? indifférent?
• Existe-t-il des gens qui ne sont pas d'accord dans votre camp avec ce qui s'est passé? Pourquoi? Est-ce que leur avis importait, sinon a t-on cherché à connaître leur avis avant l'événement? Leur décision aurait-elle fait changer la nature du conflit?
• Quelle était la nature de leur opposition : politique? économique? tactique? stratégique? idéologique? morale? religieuse? culturelle?
5 Résolution du différend
• Existe-il d'autres intérêts ou personnes qui sont intervenus indirectement dans cette affaire?
(Si oui passez les en revue y compris ceux sur qui pèserait une présomption et tenter de savoir pourquoi ils ne s'impliquent pas directement et comment ils agissent ).
• Qui a une importance dans la communauté, en terme d'influence, qui pourrait contribuer à régler cette crise? Cette personne a-t-elle déjà été impliquée? Quel serait son intérêt de le faire?
• Qui selon vous peut régler ce conflit?
• Quels sont les obstacles à sa réussite?
• Vous mêmes pensez vous être capables d'influencer la résolution de ce conflit?
• Avez vous déjà essayé d'entrer en contact avec l'autre partie pour discuter ou négocier?
• Si oui que s'est il passé?
• Si non pourquoi et à quelle condition serait -t-il possible que cela arrive?
• Quelles concessions feriez vous et quel compromis serait acceptable pour vous? Pourquoi?
• Qu'attendez vous de la partie adverse?
• A votre avis que dit la loi en vigueur pour régler votre conflit? Êtes vous en accord ou en désaccord avec cette loi ou cet usage? Êtes vous au courant d'un cas comme le votre qui aurait été réglé?
• Qu'est-ce qui d'après vous risque d'arriver dans un futur proche dans cette affaire?
• Qu'attendez-vous de la partie qui s'interpose et qui tente de prévenir l'aggravation du conflit?
• (-Si une entente est dégagée assurez-vous de la compréhension de ses termes auprès des parties
• Assurez- vous que le ou les témoins agrées par l'observatoire ont compris les termes de l'entente.
• Prévoyez, dans un futur proche, la possibilité d'une autre rencontre aux fins d'évaluation de l'impact de l'entente auprès des autres parties concernées qui n'ont pas assisté à la réunion; au besoin tentez de les faire participer).
La comparaison des données obtenues par les intervenants dans une procédure de ce type permet: d'avoir une analyse de la situation essentielle à la prévention et /ou la gestion du conflit; de comparer les données avec les autres éléments de leur enquête terrain; d'avoir une plus claire intelligence des enjeux et des moyens de résoudre à plus long terme la crise. Le traitement et la circulation de l'information s'inscrivent dans la suite de la procédure de surveillance et d'action. Il serait souhaitable de prévoir utiliser certaines de ces informations, ou alors l'issue de l'entente, dans le cadre de cours de formation et de sensibilisation au niveau local à l'échelle nationale ou régionale
57. L'initiative argentine de suggérer des civils comme casques blancs de maintien de la paix post-conflit pourrait servir dans le contexte africain, dans une disposition qui n'était pas à l'origine prévue, soit dans la prévention et la gestion de conflit. Ce corps de volontaires, ou tout autre agréé des intervenants, effectuerait les missions de bons offices et rassemblerait les indices de pré-alerte, tout en participant de façon concertée à la médiation. Les principaux intervenants compétents seraient par exemple: les volontaires parmi les notables traditionnels , les représentants administratifs, les élus locaux; les représentants des groupes de pression ( groupes de défense fonciers -syndicats, partis politiques, associations, ONG-OCI ). Il importe de soutenir les efforts de participation populaire dans le sens de la constitution et de l'émulation de tout regroupement civil indépendant qui s'assigne de telles missions de pacification.
58. Pour ce faire, il est suggéré aux participants de réfléchir à la constitution d'un certains nombres de mécanismes pour les soutenir:
a) L'institutionnalisation d'un ombudsman, personnalité impartiale et indépendante dirigeant un organisme chargé de défendre les citoyens. Elle devrait être assortie d'un observatoire national impartial des conflits, supervisé par l'ombudsman, qui pourrait, dans une étape ultérieure, contribuer à l'avènement d'un observatoire régional voire continental. La fonction principale de l'observatoire est d'étudier les conflits en signalant leur imminence et les voies de solution possibles ainsi que de favoriser la sensibilisation et l'éducation tout en encourageant la participation des médias dans ce sens. Aussi elle initie et supervise les négociations.
b) Des unités locales de prévention des conflits ainsi que l'élargissement et le raffinement des modes de règlement déjà en usage. Dans toute zone à risque, promouvoir la formation de groupes volontaires œuvrant en ce sens.
c) Une commission mixte de prévention et gestion des conflits formée de représentants de l'État de la société civile et d'observateurs internationaux. Elle dépose annuellement un rapport public de ses activités.
d) Information et formation en techniques de prévention, de médiation et de négociation, aux intervenants et aux populations en zones ou en phases litigieuses. Ce processus d'éducation et de conscientisation devrait être élargi aux forces de l'ordre.
e) Promotion de la participation féminine à la question foncière et au règlement des conflits. Une mise au point s'impose sur cette question capitale.
Historiquement, en Afrique, les rapports hommes / femmes sur l'accès au sol ont été fortement perturbés par l'invasion des religions, la colonisation et les exigences du développement, qui ont instauré de nouveaux modèles de propriété foncière. S'il est vrai qu'en général l'accès des femmes aux terres communales et individuelles était basé sur un mode masculin privilégiant la complémentarité, l'Afrique pré-coloniale, comparée à la vaste majorité des sociétés agraires du monde, accordait plus de droits aux femmes. Ainsi, certaines sociétés, certes rares, matrilinéaires et-ou matriarcales n'avaient que la décision des femmes pour l'attribution des terres. Il a aussi existé des sociétés où les femmes ont eu accès au sol par le seul droit d'usage du fait d'avoir défriché. Aujourd'hui, il faut constater, qu'à l'orée du 21 ème siècle certains pays n'autorisent pas les femmes à être propriétaires foncières, encore moins à hériter et à disposer de terres. De plus, malgré leur contribution majeure à l'agriculture d'exportation , de subsistance et le maraîchage, les femmes sont défavorisées au niveau de la propriété foncière, de l'accès aux bonnes terres, de l'accès au crédit de mise en valeur, ou d'achat immobilier. On pourrait aussi déplorer le fait que les chances qu'elles obtiennent gain de cause dans les litiges sont aléatoires.
Compte tenu de ces considérations, la nécessité de favoriser l'accès aux femmes aux terres, autrement que par les avantages accordés du fait des obligations les liant au statut familial, passe par le respect de la charte des paysans de la FAO de 1979, ratifiée par 119 pays et dont une des protections intime la co-signature des conjoints pour les titres fonciers. Il faut combler le fossé existant entre les proclamations et leur application en s'attelant courageusement à réformer les conditions d'accès à la propriété et à l'exploitation foncière. Il faut donc promouvoir un accès aux terres et aux droits de succession et de séparation , ce qui implique le droit de les posséder, de les exploiter, de les vendre ou de les louer, ou d'en disposer à leur gré. Permettre ces possibilités dans une démarche préventive des conflits requiert une volonté politique, une réforme agraire et une refonte foncière, ainsi que le changement des mentalités masculines et féminines sur l'émancipation des femmes . Les initiatives de prévention des conflits passent par une pleine participation des femmes qui ne peut que s'inscrire dans un accès véritable aux postes de décision de l'État, des régions et des localités. Il faut promouvoir la formation technique des femmes afin de faciliter leur représentation à tous les paliers de décision et d'exécution qui se rapportent à elles. Du simple fait d'être des victimes de guerres auxquelles elles participent peu ou pas, les femmes méritent ces changements.
f) La promotion de la participation de la jeunesse
Ce qui a été avancé au sujet des femmes est plus ou moins valable, exception faite des questions de succession, au sujet des jeunes. Il est impérieux, en raison de la crise des États africains, mais surtout parce qu'ils sont les vecteurs et les instruments prisés des mécanismes de violence, de favoriser l'accès à la propriété terrienne et son exploitation aux jeunes. Cela signifie non seulement d'établir une politique de redistribution de terres urbaines et agricole, mais aussi des mesures de formation et de crédit minimum afin de garantir leur autonomie et la prise en charge futures. Il importe, dans cette optique d'associer certains jeunes influents des localités aux mécanismes de règlement des conflits. On constatera que dans tout conflit prenant des proportions martiales, les jeunes sont enrégimentés. De même, la tentation de la délinquance attire d'avantage les jeunes que les autres maillons sociaux. Pourtant, de nombreux jeunes ont un sens des responsabilités et pourraient contribuer à un sursaut du développement et à la promotion des droits de la personne si on leur en laisse la chance. Pour ce faire, il faut un dépassement à tous les niveaux des mentalités, souvent figées dans un code de rapports aînés -cadets voulant que seuls les vieux aient le monopole de la sagesse dans le règlement des conflits. Ce sera ainsi l'occasion d'une auto-formation où jeunes et vieux échangeront.
f) "Géomatique" et démocratisation du cadastre.
L'informatique vient à la rescousse des questions foncières. Bien sûr, les municipalités et les régions ne peuvent pas s'en doter partout pour l'instant. Mais les ministères dont relève l'aménagement du territoire devraient être incités à recourir à ces méthodes. Elles permettent progressivement un traitement des données et des cartes électroniques les plus fidèles qui éviterait bien des contentieux. C'est avant tout sur l'accès démocratique à l' instrument informatique que les efforts devraient porter. Les membres de l'observatoire des conflits devraient y avoir un accès prioritaire.
h) La recherche de financement opérationnel et sa gestion transparente.
Il faut explorer toutes les possibilités pour mener à bien un changement pacifique. Les adages ont imposé que l'argent est le nerf de la guerre. En réalité, il faut plus d'argent pour préserver la paix et pour reconstruire après une guerre. Toutes les sources possibles doivent être mobilisées afin de contribuer au financement (UNESCO, PNUD, ONG-OCI, Fondations, levées de fonds par activités de participation populaire, dons de particuliers, cessions et vente de titres du domaine national ..) afin de contribuer au financement de la prévention des conflits dont ceux liés à la terre. L'observatoire devra gérer ces fonds de façon transparente. A l'occasion de ces efforts de financement, un travail préalable, de consultation et de concertation pourrait mener à une meilleure coordination des efforts de toutes les parties engagées dans la prévention et la gestion des conflits.

En guise de conclusion
Il est impératif que les États et les gouvernements fassent la promotion des initiatives des collectivités locales et de leurs organisations qui s'astreignent à résoudre des conflits. Ce serait le signe d'une démocratie décentralisée esquissant une refonte foncière et garantissant l'équitable accès à la terre.
Dans un contexte de raréfaction des ressources, l'inclinaison prédatrice du pouvoir d'État post-colonial semble aussi exacerbée que le sont les activités désespérées des sans voix et des défavorisés. Pour ces raisons, la prévention revêt une dimension philosophique sur laquelle nous ne nous sommes pas arrêtés afin de ne pas polémiquer dès le départ. Il demeure cependant judicieux de s'interroger dans le fonds sur quelques éléments. Comment s'assurer que l'arbitre ne soit pas tenté par l'arbitraire? Peut- on s'instituer arbitre, médiateur, avant que les deux parties s'accordent à nous reconnaître comme tel pour s'interposer dans leur différend?
En voulant répondre à ces questions, il m'est apparu qu'une certaine prévention, en voulant éviter à tout prix la conflagration évitait de se préoccuper des racines du problème. Il n'est pas étonnant en effet de constater qu'une certaine mode de la prévention et la gestion des conflits ne soit préoccupée que d'instaurer un modus vivendi, c'est à dire à accorder les parties sur un compromis qui se prive de régler les fondements du litige. L'objectif est dès lors de contenir, de repousser l'échéance de l'explosion. Or, il peut être encore plus dangereux de procéder de la sorte, malgré les urgences, car l'ampleur de cette bombe à retardement a, lorsqu'elle explose, des conséquences plus étendues et plus ramifiées dans le social. Cette attitude de parer absolument au plus pressé, et d'imposer la paix sociale en surface dissimule un dessein plus profond. C'est celui de gérer la crise, donc en réalité de s'évertuer à gérer l'intolérable. Cet intolérable, c'est la nature fondamentalement inégalitaire de notre système mondial articulé sur un mode de consommation et de production prédateur au niveau physique et humain; c'est le développement du sous-développement; l'incapacité pour les populations de voir localement concrétiser leurs aspirations fondamentales. Ce n'est pas un hasard si les flux positifs de transferts de surplus des communautés locales vers les couches aisées des pays du "tiers monde", et de ceux-ci vers les centres développés, ont été réalisés par quelques uns de ces faits: une chute dramatique des revenus et la ponction de la dette, l'accroissement du volume des productions, une privatisation et une dénationalisation bradée des infrastructures et des ressources de la terre, la spéculation foncière, la généralisation de la corruption et la fuite de capitaux. Ces situations en zones urbaines et en zones rurales ont accru l'insécurité et l'ont même instauré là où elle n'existait pas. Partout la paupérisation a sensiblement accru la délinquance. Les conflits à ce titre n'ont pas le monopole de la violence qui peut être gratuite ou motivée par des besoins non accessibles ou des comportements d'ordre psychologique.
Les populations qui vivent ces conditions ne sombrent pas toute dans le fatalisme. On s'émerveille au contraire de voir comment leur ingéniosité et leur solidarité gardent vivant l'espoir. Certes, des pans sociaux ont capitulé, et pensant que les choses ne changeront jamais, ni ne s'amélioreront, ils se sont résignés à se débrouiller en dehors de tout référent politique par divers moyens animés par le seul réflexe de survie. Ces gens, pour la plupart, pensent que la démocratie ne se concrétise que dans l'État, où leur chance d'accès sont quasiment nulles. Et il y a les autres, et ils sont de plus en plus nombreux, qui pensent que c'est la société civile qui accorde le pouvoir d'État tout en étant aussi son contre-pouvoir. Ils pensent qu'il est urgent que l'État monolithique laisse place à un État redistribuant les pouvoirs en son sein et au sein de la société civile, entre les grands centres, les régions, et leurs localités. Ces gens misent davantage sur une démocratie participative que représentative. Auquel cas, d'aucune façon la prévention de conflits ne devrait s'atteler à endiguer la vague démocratique dont seul le déferlement est salutaire. Or, les puissants de ce monde, la sentant venir du tréfonds de la frustration et de l'organisation des collectivités locales, cherchent à tout prix à la coopter, à l'encadrer ou à l'édulcorer. En effet, souvent les mêmes qui, il y a peine quelques années, ont soutenu les plus abjects régimes en Afrique et dans le monde, se sont mués en précurseurs de la démocratie. Ce n'est pas sur leur soudaine conversion qu'il faut s'appesantir, mais sur le raffinement de cette démocratie à la base comme seul cadre pacifique dans lequel les contradictions et les conflits de la société peuvent être résolus.
La sécurisation des pauvres et des moins favorisés, passe par un cadre démocratique ouvert à la justice sociale et à une saine politique de sécurité. La repolitisation démocratique des masses réside dans une éducation politique qui trouve l'origine dans les organisations populaires, et non dans les chimères du néo-libéralisme qui dissimule si habilement les freins à l'accès effectif au pouvoir des populations. C'est dans la dynamique interne que se tissent le sursaut du développement et les mécanismes de règlement des crises aiguës. La majorité des conflits se règlent en marge de l'État et des interventions internationales, par des règlements et des solutions propres aux modes de régulation de la société.
C'est en gardant tout cela à l'esprit que les 'intervenants auront le plus d'impact à long terme dans vos démarches de prévention et de gestion des conflits. C'est à vous de veiller à ce que soient élaborées et appliquées des lois basées sur l'équité sociale qui privilégient une saine et responsable gestion des ressources de la terre et des services administratifs. Plus les individus et les collectivités disposent d'accès démocratique à des recours pour résoudre leurs conflits, moins ils sont enclins à recourir à la confrontation violente. Il y a pour ce faire dans la Déclaration de Praia, des recommandations utiles qu'il faut utiliser, pour la prise en main par les populations des problèmes qui les affectent.
Prévenir un conflit c'est songer au futur et non pas être seulement obsédé par l'urgence du présent. Les intervenants conséquents savent qu'on ne peut ignorer les causes profondes des conflits à moins de vouloir indéfiniment reprendre sa tâche. A ce titre, les intervenants arbitres des médiations ont une redoutable tâche: celle de la quête constante d'impartialité et d'objectivité, en ne succombant jamais au syndrome du pompier pyromane. C'est à eux d'instaurer et d'être les principaux responsables de l'application des mécanismes de consultation, d'échange, d'information et au besoin, de négociation. A la base, l'apport de tous les intervenants est justement de ne pas attendre que le conflit germe pour débuter l' éducation et la sensibilisation des collectivités. Encore faut-il que l'on permette aux collectivités de s'approprier les débats et recherches sur les causes et les enjeux des conflits. Il est important pour ce faire, que les autorités s'associent à toutes campagnes. allant dans ce sens La formation des forces policières, de l'armée, des fonctionnaires des propriétaires doit accompagner les efforts que les intervenants entreprennent pour soutenir les plus défavorisés.
De tout temps, l'occupation de la terre est l'enjeu permanent de l'espèce, mais aujourd'hui l'humanité a la capacité de s'annihiler par des moyens allant du nucléaire à la machette. La terre appartient à une catégorie de conflits portant sur un bien matériel palpable, mais d'autres catégories immatérielles comme celles des valeurs, des idées, des identités et des personnalités interviennent et tentent de la surdéterminer. L'Afrique rentre à ce titre dans un circuit d'entrecroisements de valeurs. L'un d'eux est la compétition. Les lois du marché demeurent, quoi qu'en dise l'économisme, non seulement tronquées mais celles du plus fort, et l'Afrique doit désormais savoir traiter avec l'intérêt et le conflit des intérêts. S'il advient que ce processus est inévitable, les intervenants à la base devront par l'intelligence de leur réseau et l'ingéniosité de leur solidarité être les phares des jeunes et de l'avenir.


Aziz Salmone Fall,
Politologue d'origine sénégalaise et égyptienne, membre du GRILA , groupe de recherche et d'initiative pour la libération de l'Afrique. Il a enseigné les sciences politiques et les relations internationales à l'Université du Québec à Montréal, à l'Université de Sherbrooke, au Centre de formation à la coopération interculturelle, au Centre Pearson de maintien de la paix (Canada) et enseigne actuellement les séminaires de recherche en études africaines à l'université Mc Gill. Il a présidé le comité consultatif montréalais sur la politique étrangère du Canada en matière de maintien de la paix en 1996-97 et coordonne la Campagne internationale Justice pour Sankara contre l'impunité. Le présent texte est une version remaniée d'un document ayant servi de base de discussion à une rencontre de travail sur le même thème tenu à Conakry Guinée en 1997 et coordonnée par le CECI