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À propos du retrait de l´AFRICOM et de la présence militaire étrangère
À propos du retrait de l´AFRICOM et de la présence militaire étrangère





Le 29 juillet 2020, le général Stephen Townsend, récemment nommé commandant de l'AFRICOM, a révélé que l'AFRICOM quittera son quartier général à Stuttgart, en Allemagne: « Alors qu'il faudra probablement plusieurs mois pour développer des options, examiner les emplacements et prendre une décision, le commandement a commencé le processus. » Il a ajouté : « Nous veillerons à continuer à soutenir notre pays hôte et nos partenaires africains, ainsi que nos familles et nos forces tout au long du processus. »

Nous nous félicitons de cette décision de retirer les troupes dédiées à l'Afrique. Le GRILA a été l'un des premiers sur le continent à faire obstacle aux visées expansionnistes de l'ère post-apartheid, notamment avec la force de réponse aux crises africaines de Warren Christopher [1], et à proposer notre option panafricaine, l'Africa Pax [2]. Le GRILA est également le premier groupe à avoir dénoncé l'AFRICOM lors de sa création en 2007, ainsi que lors de son installation à Stuttgart un an plus tard. Le 25 mai 2013, à l'occasion du cinquantième anniversaire des « indépendances » africaines, nous avons émis une déclaration cosignée par 50 éminentes personnalités africaines et allemandes, intitulée « AFRICOM hors d’Afrique » [3]. Nous avons fait campagne pour le retrait de la base AFRICOM et contre l'occupation militaire et l'agression du continent africain. En outre, nous avons presque réussi à convaincre une grande partie de la population allemande que la base de l’AFRICOM viole leur propre constitution. Hélas l'attaque terroriste de Berlin a mis en péril notre effort de paix. Au cours de cette période, l'Allemagne est devenue plus proactive et a maintenant adopté une position plus agressive sur le continent africain. Nous restons reconnaissants aux pacifistes allemands comme la Gesellschaft Kultur des Friedens, et à certains des députés allemands progressistes ainsi qu'à des membres de la société civile, et aussi aux militants américains comme la Black Alliance for Peace, qui se sont courageusement opposés à l'AFRICOM ces derniers temps.

Comme le prédit le film AFRICOM go home, bases étrangères hors d’Afrique [5], une étude indépendante de l'Université du Maryland (National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism) illustre l'augmentation spectaculaire des attaques transnationales depuis la création de l'AFRICOM. La France et les États-Unis portent le fardeau de la responsabilité militaire de cet état de fait. Le 19 mars 2011, l'AFRICOM a lancé l'opération Odyssey Dawn, première phase d'une guerre, qui a été ensuite menée par la France, en renversant le gouvernement à Tripoli. Le sinistre résultat est la dislocation de la Libye au milieu des activités subversives de la France, de la Russie, de la Turquie, de l'Égypte, de l'Arabie Saoudite, du Qatar, des Émirats, des forces djihadistes, des mercenaires syriens, des tribus libyennes, des milices ethniques soudanaises et tchadiennes, et de toutes sortes de trafics. Cette déstabilisation dans le modèle du Sahelistan s'étend au Mali, au Burkina Faso au Nigeria et dans la sous-région, créant une dislocation, jusqu'au Mozambique,.

Les administrations américaines changent, mais le système demeure. Comme les États-Unis sont une grande puissance qui tente de tempérer son déclin par la ruse et la force, le continent africain est désormais truffé de drones et d'installations militaires qui, pour l'instant, rendent inutile la présence d'une méga-base. L'OTAN et l'AFRICOM n'ont en fait besoin que de leur officier de liaison militaire supérieur actuel, qui sert de point de contact avec l'Union africaine. L'attitude de l'Union africaine est pour l'instant encore pathétique. Elle n’a pu s’objecter au placement des armées nationales sous le contrôle des forces de l'AFRICOM et de l'OTAN. Elle vit sous la menace constante de voir la base de l'AFRICOM se déplacer vers l'Afrique. Elle accepte également la résurgence des interventions militaires françaises et autres et tolère même les bases militaires récemment créées sous l'influence du Japon et de la Chine à Djibouti, de l'Allemagne au Niger, les influences de la Turquie et d'Israël. Tous ces développements aboutissent à mettre en péril toute véritable intégration africaine. La perspective d'une base AFRICOM en Afrique, bien que toujours rejetée par la plupart des pays du continent, est attrayante pour quelques-uns. Elle est en effet devenue un fait accompli alors que la stratégie d'endoctrinement, d'encerclement et de diffusion progresse sur le continent et que des foyers de tension y sont maintenus. En effet, les arrangements de l'AFRICOM et de l'OTAN, ainsi que les initiatives unilatérales de certains pays de l'OTAN comme la France, sont entrepris dans l'intérêt exclusif des pays du Centre et de leurs alliés compradors en Afrique. Le seul but de ces bases est de sécuriser, à long terme et pour leurs propres besoins, nos matières premières et notre espace stratégique, à l'encontre de l'appétit des puissants pays émergents du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et contre la perspective de notre propre unité.
Aucun des pays de l'OTAN n'a besoin d'une base militaire aussi importante en Afrique. Non seulement ils disposent de plusieurs bases et installations, mais ils vont où ils veulent sur le continent, en raison de clauses bilatérales et d'autres accords connexes. La plupart des armées des pays africains ont été cooptées par les forces des États impérialistes, leurs milices privées et d'autres sociétés de sécurité. Ces forces, de plus, alimentent, directement ou indirectement, le péril terroriste qui prospère dans le terreau du sous-développement.

La tutelle de bien de nos armées nationales, ou de ce qui en reste, sous le commandement et la supervision de forces impériales étrangères, et l'expansion de l'AFRICOM en Afrique, ainsi que la résurgence des interventions militaires françaises et autres, sapent toute véritable intégration africaine. L'Afrique est progressivement placée de force sous l'égide de l'OTAN. L'AFRICOM aide l'OTAN et vice versa sans aucune nuance perceptible. L'AFRICOM et l'OTAN sillonnent tous deux le continent, pratiquant une politique sophistiquée qui remonte à loin. Les obstacles à l'indépendance et le renversement de régimes progressistes, l'incapacité à contenir la lutte contre l'apartheid, les erreurs de la politique américaine en Somalie et au Soudan et ses rapports avec Al Qaida, ainsi que les attaques djihadistes avant celles du 11 septembre 2001, ajoutés à la politique dite antiterroriste qui a suivi, sont quelques-uns des événements historiques significatifs de cette époque. Malheureusement, l'Afrique est toujours soumise à l'impérialisme. La nébuleuse intégrée des entreprises transnationales, principalement américaines et canadiennes, impose ses conditions économiques iniques aux pays africains et « légalise » le pillage des ressources minérales au détriment des peuples africains.

Cependant, l'émergence de formations sociales africaines plus dynamiques, l'appétit boulimique de la Chine et de l'Inde pour les ressources, l'arrivée sur la scène d'acteurs non moins importants comme le Brésil, le Qatar ou Israël, brouillent la situation. L'échec du néolibéralisme, les conséquences de trois décennies de libéralisation monétaire et le démantèlement des espaces de souveraineté donnent naissance à une nouvelle logique de partenariats multipolaires. C'est une logique de type Sud/Sud qui modifie le terrain géopolitique, économique et culturel. La dette de certains pays est effacée, des matières premières sont échangées contre des projets d'infrastructure ou des opportunités commerciales sans imposer de conditionnalités, tandis que l'aide publique au développement de l'OCDE diminue. En fait, elle est désormais inférieure aux envois de fonds et aux divers transferts monétaires que les immigrants africains envoient de l'étranger vers leur pays d'origine. Tout cela inquiète ces puissances, désormais économiquement faibles, mais géopolitiquement dominantes. Elles jouent donc la carte militaire pour maintenir leur prééminence.

Ainsi, il y a maintenant une constellation d'installations dans nos pays côtoyant l'OTAN, l'AFRICOM, les réseaux de renseignement logistique, côte à côte avec la cooptation totale de nos armées et de nos dirigeants politiques. Avec la dépendance technologique et la servitude volontaire de pans entiers dépolitisés ou mal informés de nos tirailleurs modernes, nous sommes moins préparés à résister à ces phénomènes complexes que lorsque nous avons résisté à la colonisation au XXe siècle.

Aujourd'hui, le socialisme de marché chinois est également frappé par les tendances bourgeoises et les impulsions des oligarques mandarins qui ne se préoccupent que de leurs propres intérêts. Mais les oligarques ne sont rien sans l'État chinois. Il existe un équilibre délicat des pouvoirs et une lutte interne assourdissante en Chine. Si la tendance pro-business triomphe, l'Afrique devra se prémunir contre ce qui deviendra alors un impérialisme social affirmé. Pour l'instant, outre l'hégémonie économique et sa voracité pour les matières premières, sous prétexte de défendre ses intérêts économiques et commerciaux dans le Golfe d'Aden, la Chine vient de suivre le modèle militaire du Japon. A Djibouti, en plus des bases françaises, américaines et japonaises, la Chine dispose d'un espace logistique à Obock, et a pris d’importante parts du port actuellement sous contrôle américain. Que ce soit là ou plus probablement ailleurs, cela crée un dangereux précédent. La zone franche industrielle signée avec Djibouti et la sécurisation de la nouvelle route de la soie sur le sol africain font monter d'un cran la convoitise géopolitique de l'impérialisme sur le continent. À ce rythme, la Chine est plus susceptible de rejoindre les centres de l'impérialisme et, ce faisant, de violer les principes de son discours non-aligné et Sud-Sud. En attendant que cela se produise, la Chine pourrait être considérée comme défendant principalement ce qui se trouve à l'intérieur de ses murs, tout en étant consciente de sa puissance accrue et de la peur que cela provoque dans le monde entier. La Chine semble donc soucieuse de rassurer à la fois l'impérialisme et les pays d'Afrique. Ce partenariat pour l'instant pourrait nous être bénéfique, s’il demeure en échange Sud-Sud et intelligemment entretenu dans le sens des intérêts du peuple. Étant donné l'appétit insatiable de la Chine pour les mines et le commerce, les changements rapides provoqués par les mutations de sa bourgeoisie et l'inflation de la menace hégémonique qu'elle pourrait représenter sur la scène mondiale, comme le claironnent les États-Unis, l'Europe et le Japon, il devient difficile de lire l'avenir de sa coopération bilatérale. Le film AFRICOM go home illustre précisément, qu'après avoir perdu la bataille économique face à la Chine, les pays de la triade sont contraints d'imposer l'agenda sécuritaire et géopolitique pour préserver leurs bastions. Entre-temps, la Chine a ouvert une base militaire en Afrique, et la bataille fait rage entre ceux qui croient encore à la coopération internationaliste en Chine et ceux qui veulent fermer cette parenthèse et opter pour une plus grande libéralisation du socialisme de marché - ou social-capitalisme - et revigorer un capitalisme épuisé.

Au Sahel, le président français est à la fois préoccupé par les pertes humaines et matérielles françaises, ainsi que par la désaffection du soutien populaire face à la duplicité de la politique française et par sa volonté de construire une nouvelle coalition internationale au Sahel. Il a hérité d'une politique militariste d'administrations rivales empêtrées dans des visions paternalistes de la France d'outre-mer, combinée à ses propres réseaux franco-africains disparates. Les réseaux opaques ou non officiels dont il est question s'alimentent mutuellement de façon macabre, ce qui permet de gérer le bourbier qu'est le statu quo. En même temps, ces réseaux sont également essentiels à la survie des régimes de l'Afrique francophone, et l'on peut rappeler, par exemple, l'exfiltration de Blaise Compaoré vers la Côte d'Ivoire.
Il est logique que les forces américaines et de l'OTAN comptent sur l'allégeance de leurs alliés africains, contribuent à faire taire le mécontentement social et à redistribuer les rôles dits démocratiques. C'est le cas depuis la fin du XIXe siècle, mais la situation est aujourd'hui plus complexe, les raffinements de la géostratégie du XXIe siècle et les réseaux transnationaux de déstabilisation ajoutant une nuance à la situation. Les pays africains ne sont plus de simples pions. Ils ont aussi leur propre agenda et ne sont pas passifs dans le jeu plus large de l'OTAN, de l'AFRICOM et d'autres acteurs étatiques extra-africains et transnationaux.

La guerre contre le terrorisme a tout fait sauf se débarrasser du terrorisme. Les alliances et les tactiques utilisées par les États-Unis et la France servent leurs intérêts et rien ne changera cela. Ils font tout leur possible pour contrer leur perte d'influence ou de crédibilité et sont déterminés à protéger leurs intérêts différemment en répartissant les risques de leurs politiques passées.

C'est à nous, panafricain-es, de faire une analyse lucide de nos propres intérêts. Il est clair qu'aujourd'hui, nos alliés, dans cet enjeu mondial, nous assiègent et nous ‘aident’ en même temps. Nous pouvons également constater que nos pays, qui ont été ensanglantés par le fondamentalisme du marché et le désengagement de l'État de l'économie dans des marges de souveraineté dérisoires, ne peuvent se passer d'aucune aide offerte, en particulier de l'aide militaire et stratégique. La Libye est une illustration frappante de la situation, tant dans sa phase précoloniale que coloniale, dans l'assassinat de Kadhafi et aussi dans la guerre et la partition du pays qui se poursuivent.

References:
[1] Warren Christopher: “[...] We would like to develop that force for use in various ways. Primarily, as a humanitarian concept at the present time, but also if the forces are there, trained, integrated and able to work together we have other options that we are completely deprived of, at the present time. George Moose, the assistant secretary for African affairs, has reported that his initial trip to Africa provided encouraging indications that African countries are prepared to supply the troops. We will consult with our European allies to see if they are prepared to help by providing the logistics and financial support [...] at the same time, in each of the countries where I’ll be meeting with leaders, I’m going to be talking about the ACRF, urging them not only to contribute themselves, but also to urge other African leaders to participate”.
[2] Africa Pax, http://www.grila.org/index_grila.php?gri=org&org=231234&lang=fr
[3] Africom Hors d´Afrique https://grila.org/index_grila.php?gri=org&org=231199&lang=fr
[4] https://www.grila.org/index_grila.php?gri=org&org=231199&lang=fr
[5] Africom Go Home, Bases Etrangeres hors d’Afrique https://www.youtube.com/watch?v=2Wu8vC9MLoU