Archives du GRILA
Appel à la société civile tunisienne - Le 20 Aout 1999
Appel à la société civile tunisienne - Le 20 Aout 1999
Appel à la société civile tunisienne

Au regard de la situation politique de ces dernières années en Tunisie, de la prochaine campagne électorale et faisant suite à ses campagnes de défense des droits de la personne en faveur d’activistes politiques de ce pays, le GRILA, groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique fait le constat et lance les message suivants. La Tunisie est depuis quelques années entrée dans une phase que nous appelons post-Destour. Elle est caractérisée par l’érosion considérable du consensus sur lequel s’était bâtie l’architecture sociale du pays. Ce consensus se caractérisait par une alliance indirecte de la petite et moyenne bourgeoisie au pouvoir qui avait réussi un projet d’homogénéisation nationale au delà du référent régionaliste et ethnique. En dépit du caractère absolutiste du régime politique tunisien dès son avènement, ce consensus petit bourgeois et classe moyenne avait évincé le pouvoir de la mince haute bourgeoisie et aristocratie, déjà fortement laminé par l’épisode colonial. Le consensus axé sur une politique d’infitah aux accents pan-arabe modéré et fort teinté de valeurs laïques et pro-occidentales avait la prétention d’arrimer très tôt la Tunisie à l’économie mondiale par la délocalisation des firmes multinationales, le commerce et le tourisme. Il s’en est résulté une stagnation, ‘’ni trop bien ni trop mal’’ qui contentait les citoyens, d’ailleurs enviés par leurs frères et soeurs du Maghreb. Paradoxalement la fin de règne du régime Bourguiba, le coup d’Etat constitutionnel et l’avènement du régime Ben Ali, tout en revigorant le discours caractérisant le modèle précédemment décrit, va évoluer en intensifiant plutôt la voie néo-libérale et en forgeant un Etat policier et autocratique. Ce dernier avait insidieusement bâti ses premières bases sur la surveillance citoyenne durant les luttes d’indépendance lors du soutien au FLN algérien. Il allait se raffermir sous l’épisode pro-palestinien. Le souci sécuritaire d’encadrement et d’intelligence étant récupéré à des fins intérieures, le système va très vite faire ses preuves en traquant les islamistes . Avec l’aval des tanants de l’ordre mondial, il va se sophistiquer dans l’invention de leur péril, permettant une surenchère islamiste à même de justifier la répression contre toute fronde sociale, qu’elle soit politique syndicale ou intellectuelle. Ainsi la lutte systématique contre toute voix dissidente, va créer un système de délation, de psychose, d’intimidation, d’impunité et de cooptation de la justice. Ces moyens sont ceux d’un pouvoir qui a opté pour la compradorisation en lieu et place de la construction bourgeoise nationale. Ceci signifie qu’une frange infime de la bourgeoisie d’Etat en constitution ,au détriment des besoins de la nation, va mettre en coupe et en vente le pays et spécule en s’enrichissant impunément. Le règne de familles et de cercles occultes proches du pouvoir, a comme pendant populaire l’idéologie du bizness qui n’est que l’expression informelle de la débrouillardise et de la survie sociale. Cette dernière rime avec volonté d’exil et déliquescence des mœurs et tentation délinquante affectant surtout les jeunes. Devant les criantes disparités économiques et politiques se traduisant par la rareté et la frustration, le régime craint l’explosion sociale. Le coût de la vie et l’accès aux denrées de base, le manque d’emploi en constituent à eux seuls des déclencheurs. Mais cela ne peut justifier la violence du régime. D’aucuns s’étonnent que ce dernier, qui n’a devant lui objectivement aucune opposition susceptible de le renverser, soit si intempestif et violent dans son atteinte aux droits de la personne et à la démocratie. Le musellement de la liberté d’association et d’expression, les arrestations et incarcérations arbitraires, les simulacres de justice, la torture et les humiliations professionnelles et morales sont constatés par la majorité des associations nationales et internationales des droits humains Dans un tel climat, le GRILA s’inquiète de la tenue prochaine de la campagne électorale qui a été concoctée sur mesure par le régime qui veut assurer anti-démocratiquement sa réélection. Non seulement les challengers autorisés à ferrailler contre le président Ben Ali sont peu représentatifs de l’opposition tunisienne et de la société, mais les acteurs susceptibles d’opposer une résistance voire de vaincre le régime, en cas de scrutin transparent, sont évincés d’office. C’est le cas de Moncef Marzouki qui avait payé et paye toujours son intention déclarée lors du précèdent scrutin de se porter candidat aux présidentielles. C’est pourquoi le GRILA recommande et suggère à la société civile tunisienne, au régime Ben Ali et à tous les panafricanistes d’œuvrer pour concrétiser au moins les mesures suivantes: - Repousser la tenue du scrutin électoral afin de permettre une participation populaire motivée par les éléments suivants: - Arrêt de la répression contre les droits de la personne, et réhabilitation des activistes politiques dans leur droit légitime - Amendement de la constitution de façon à permettre la liberté d’association et le droit de tout citoyen de se présenter comme candidat aux élections. - Soutien à la candidature de Moncef Marzouki et ou à toute candidature agrée par la société civile. - Organisation d’un scrutin transparent supervisé par observation internationale. Dans ces conditions, même le régime Ben Ali a à gagner. Il fera la preuve d’une démocratisation réelle et évitera le péril que constitue sa réélection par une frange minime et clientélisée de la société et les turbulences sociales qui s’en suivront. La société tunisienne en sortira grandie et la prospérité sera plus accessible. Le cas échéant, les mirages de l’arrimage à l’union européenne et au libre échange américain ne pourront occulter la persistance de la compradorisation et de l’absolutisme du pouvoir générateurs de révoltes incontrôlables et de souffrance. Le 20 Aout 1999 GRILA