Les opinions exprimées ici ne sont pas nécessairement celles du GRILA
L´héritage Noir dans la tombe
L´héritage Noir dans la tombe
Quand les peuples se soulèvent, l'impérialisme tremble


L’idéologie civilisatrice du 19e siècle, par ses constructions de pensée négatives sur l’Afrique et par l’échelle des valeurs qu’elle a établie entre les sociétés humaines, a abouti à l’infériorisation du Noir et à son rejet au faubourg de l’histoire. Ce magazine vise à montrer que si l’anthropologie de terrain a contribué à la réhabilitation de la personnalité négro-africaine, les élites africaines se sont
réveillées au lendemain de la seconde guerre mondiale pour reprendre à leur compte cette lutte de réhabilitation qui leur incombait plus qu’à quiconque. Leur expression de la lutte sera nationaliste en même temps internationaliste et anticolonialiste parce qu’elles étaient convaincues que seule la reconquête de l’initiative historique pouvait permettre la revalorisation ou le renouvellement de leurs cultures qui furent enterrées et qui ont de même manière entrainé l’héritage noir dans la tombe.
L’idéologie civilisatrice a même nié l’existence de cultures en Afrique et a établi une hiérarchie des valeurs dans laquelle celles de l’Afrique occupent le bas de l’échelle. Ces considérations négatives ont conduit au sortir de la seconde guerre mondiale à une réaction des élites africaines, décidées à réhabiliter les cultures et la personnalité négro-africaines. Mais il faut le souligner, les Africains sont entrés dans un processus de mondialisation de l’histoire où ils jouent un rôle passif dans les échanges économiques et culturels. Les canons des institutions européennes s’imposent comme un système universel en dehors duquel il devient impossible d’évoluer.
Pourquoi ce thème l’héritage noir dans la tombe ? parce que les africains ont l’habitude de considérer leur continent d’abord comme une terre de valeurs anciennes et à faire de la préservation de ces valeurs ancestrales une obligation morale essentielle pour toutes les générations. Parce que l’invocation des valeurs africaines, y compris par les dirigeants et les leaders d’opinion des pays du continent, s’accompagne rarement d’une description explicite de ces valeurs et de leur relation avec les systèmes de valeurs des sociétés non africaines. Parce que beaucoup de voix africaines connues ou anonymes parlent de valeurs en perdition dans les sociétés africaines, en observant la réalité des pratiques politiques, économiques, sociales, culturelles, environnementales au quotidien. Une demande à un retour aux valeurs africaines d’antan est fortement réclamée dans certaines sphères de la société, ce qui peut provoquer de fortes tensions entre des générations d’aînés soupçonnés à tort ou à raison de conservatisme et les jeunes qui aspirent à vivre dans un monde ouvert et globalisé qu’ils ne questionnent pas. Parce que les valeurs, qu’elles soient typiquement africaines ou non, constituent un socle fondamental pour renforcer les liens dans les sociétés africaines actuelles, pour construire ou sauvegarder le « vouloir vivre ensemble » qui loin donne le vrai sens du panafricanisme, pour forger les institutions politiques, économiques, sociales et culturelles, pour donner de la cohérence et de la crédibilité à toutes les politiques publiques. Les valeurs partagées qu’une société se donne à un moment donné sont celles qui permettent de fédérer les énergies autour d’un projet commun d’avenir.
II faut dire tout d'abord qu'il n'existe pas de coercition culturelle. Chacun y pratique librement sa culture nationale. Les Noirs y ont grosso modo conservé la leur parce qu'ils sont attachés, comme tous les hommes, à la conservation, à la transmission, à l'épanouissement de leur « moi » collectif. Ils présentent, bien sûr, plusieurs « moi » collectifs comme tout groupe, toute foule, tout individu : ceux de la famille, du clan, de la tribu, du peuple, de la nation, de la corporation, de la classe sociale, de l'Eglise, etc. auxquels on appartient. Ces moi suscitent dans l'individu des conflits avec d'autres individus de son groupe, des affinités et des affiliations avec des individus et des groupes étrangers. C'est le cas des Noirs d'Afrique du Sud. C'est l'idée qu'ils possèdent tous, automatiquement, le même moi collectif sur tous les plans, qui est fausse et conçue a priori par des Blancs ignorants, qui les stéréotypent. Mais c'est une erreur commune à la plupart des hommes, qui regardent et voudraient catégoriser leur prochain. En réalité, l'idée qu'être blanc ou noir est une idée d'hier. Un délégué noir à l'O.N.U., portant un costume traditionnel, n'est pas un primitif.
Respecter la culture des Noirs n'est donc nullement leur barrer l'accès à la civilisation. C'est connaître et comprendre leur savoir et leur foi, leur morale et leur art, leurs coutumes et leurs lois, et toutes les capacités qu'ils ont développées dans le passé, et dont ils entendent se servir dans le présent, comme les Américains, les Russes, les Allemands ou les Français, pour arriver, ensemble, au plus haut degré de progrès. D'ailleurs, en se « civilisant », les Noirs ne veulent pas plus que toutes ces puissances, renoncer à leur identité culturelle. Ils n'éprouvent pas le besoin de traduire leur avènement dans l'industrie, le commerce, l'agriculture ou la technique, par leur suicide culturel — par leur auto-génocide au profit de cultures différentes.

DE LA CONCEPTION D’UNE HIERARCHIE DES CULTURES A LA NAISSANCE DU RELATIVISME CULTUREL
Les Européens se fondent sur leur progrès technique et leur avance
scientifique incomparables pour affirmer la supériorité de leur civilisation sur les autres sociétés humaines, sans pour autant savoir les bases de leur société issue en grande partie de la société africaine. Charles Fourier considérait que la notion même de civilisation ne s’appliquait qu’à «la période particulière de la vie sociale où sont présentement les nations européennes » (cité par Schnerb 1961: 99). La civilisation européenne étant ainsi présentée comme la seule dont les valeurs sont universelles, ceci imposait à l’Europe le devoir de « civiliser » les autres parties du monde. L’idée d’une hiérarchie des valeurs dans l’échelle des communautés humaines constituait le postulat de base communément admis. Les cultures européennes, imprégnées du christianisme et du rationalisme, représentaient l’absolu de la civilisation, le sommet de l’évolution humaine. Au plus bas de l’échelle se trouvaient les sociétés africaines considérées comme primitives et représentant de ce fait le premier stade de l’évolution humaine. Et il y’a dès lors un mal entendu, car comment concevoir une pensée pareille tout en sachant que, c’est l’Afrique qui est mère de l’humanité avec la présence de tous les types d’hommes qui, en sortant de l’Afrique ont apporté avec eux leur technologie.
La pensée anthropologique, qui se construit autour des descriptions
des voyageurs et qui s’inspire de la théorie darwinienne de l’évolutionnisme, corrobore le concept fondamental d’une hiérarchie des cultures et des civilisations humaines. Pour atteindre à la civilisation, les sociétés humaines doivent suivre une « ascension continue et franchir des degrés d’évolution allant du stade primitif à la sauvagerie et à la barbarie ». Les théories anthropologiques faisaient une large part au système de classification des sociétés humaines au détriment de l’étude de leurs systèmes sociaux et politiques. Elles niaient toute valeur spécifiquement africaine et pensaient que le Noir africain ne pouvait rien apporter à l’Europe, du moins sur le plan moral et spirituel. Les Européens étaient unanimes sur le caractère primitif du Noir mais ils le jugeaient diversement suivant leur famille de pensée. Les philanthropes et les missionnaires le considéraient avec une certaine pitié et s’attachaient à développer des idées assimilatrices et conversionnistes selon lesquelles les Noirs ne pouvaient être sauvés que s’ils adoptaient le christianisme occidental. Leur conversion leur permettrait de combler leur retard en rattrapant l’Europe. On refusait ici de leur reconnaître une altérité ou du moins on pensait que leur altérité allait cesser avec la christianisation qui les rachèterait du péché originel. La thèse d’un Lévy-Bruhl sur la mentalité prélogique des primitifs confortait le jugement des Républicains pour qui les Noirs ne pourraient jamais comprendre le christianisme qui est une religion dont le dogme et la morale sont trop élevés pour leur compréhension. Il fallait donc du doigté dans sa diffusion pour ne pas déstabiliser et démoraliser les sociétés africaines. Au fond la compréhension des choses est que on nous a volé notre héritage en terrorisant en premier notre pur mental qui constitue africanité même.
Les racistes, à l’image de Gobineau, s’emparaient de la théorie biologique de l’évolution, voyant dans les Noirs une excroissance du règne animal et des êtres qui ne seraient jamais civilisés. Cette pensée, à notre façon d’apercevoir les choses n’a pas sa place et prouve une insuffisance dans le mental de l’homme occidental non avisé, car si les noirs à une excroissance du règne animal et qu’ils ne peuvent par ce fait être civilisés donc même les blancs se trouvent dans ce sac. Parce que la race humaine a une seule et unique source, nier cette source dans laquelle on est issue une aliénation en même temps l’annulation de son être. Ces racistes faisaient remarquer qu’il fallait dissocier le christianisme de la civilisation occidentale et utiliser cette religion comme moyen de leur faire accepter leur situation d’arriération, ainsi qu’en Europe, on l’utilisait pour maintenir le pauvre dans le calme.
(Pascal Manyi MUTEBA : chercheur en politique internationale, intéressé par des questions géopolitiques et de panafricanisme) « Dans un panorama de l’histoire sociopolitique de la communauté noire, il y a des temps forts : des moments de progrès et de changement, comme les années 1950-1960 pendant lesquelles nos aînés se sont battus pour nous léguer des territoires libres et indépendants ; et des moments de reflux : de retour en arrière, comme les années 1980 sous l’effet notamment des gouvernements ultra-conservateurs qui ont instauré des dictatures ne profitant pas à la plupart de nos sociétés.
De ce fait, la lutte menée par nos ainés doit nous donner un instrument de la maîtrise de notre destin. Il s’agit d’ouvrir les yeux et prendre conscience de notre statu quo : hier colonisés et aujourd’hui somnolents. Il nous faut donc nous réveiller pour que nous pensions et vivions de la connaissance et de l’amour de nos sociétés.
L’héritage noir dans la tombe… Puisque nous négligeons peu ou prou les sacrifices consentis par nos vrais leaders : Marcus Garvey, W.E.B Dubois, Simon Kimbangu, Kimpavita, Kwame Nkrumah, Andrée Blouin, P.E Lumumba, Thomas Sankara pour ne citer que ceux-là, nous assistons maintenant à nos propres obsèques. Qu’à cela ne tienne, nous devions prendre le patriotisme comme prisme à travers lequel nous pourrons non seulement tamiser nos réalités vécues mais surtout nous relever. C’est à ce niveau que nos béquilles seront retrouvées et nous serviraient de nous remettre debout. Sinon, cahin-caha, nous perdions définitivement nos acquis antérieurs »
Tous les espoirs sont donc permis ! La communauté noire, notre appartenance, à cette heure de la mondialisation se doit d’ouvrir l’œil pour faire face au nouveau courant sans perdre ni sa culture, ni son identité, encore moins ses repères afin de ne pas voir son héritage dans la « tombe ».
En somme, la communauté noire ne peut en aucun cas se passer des combats combien nobles menés par ses ainés, notamment du moment où cela constitue un vrai héritage pouvant l’aider à s’affirmer dans l’arène internationale et vivre dignement. Cette communauté ne doit pas cesser de cultiver et de développer son identité sociale et culturelle : un héritage de grande envergure sans lequel elle se déclinerait davantage ».

IDENTITE PERSONNELLE, IDENTITE CULTURELLE
Perte d'identité culturelle plus évidente encore. Non pas que les diversités des cultures tribales soient toujours si marquées que le passage de l'une à l'autre soit un bouleversement grave. En fait, les parentés de coutumes, de croyances entre les divers peuples africains sont telles que l'on peut, avec quelque nuance toutefois, parler d'une unité foncière. Mais le passage est difficile entre la civilisation encore traditionnelle des ruraux et la culture urbaine déjà profondément marquée par le monde extérieur technico-scientifique. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà, l'identité morale est très vulnérable. On peut bien dire que la base de la morale est partout la même, que ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l'adultère sont en gros des points sur lesquels tous les peuples tombent d'accord. C'est vrai et les esprits capables de prendre un peu de recul en conviennent partout. Mais des détails parfois infimes prennent un relief extraordinaire aux yeux de quelques esprits frustes. Ils attachent un intérêt énorme à certaines pratiques de détail. Ne pas les voir respectées dans leur nouveau milieu les bouleverse et les incite à remettre tout en cause, au moins tant qu'ils sont hors de leur milieu d'origine. La perte d'identité sociale va de pair avec la perte d'identité individuelle. L'appartenance à une communauté de village, de caste, de race semblait modeler la personnalité, les modes de penser, les gestes... Et puis, dans la promiscuité de Treichville, le fils du noble foula voit qu'il a des points communs - ne serait-ce que la langue - avec des gens qu'il croyait méprisables. Le sentiment d'appartenance qui l'animait s'élargit. Certains recherchent cet appauvrissement de la personnalité pour échapper à leur condition sociale traditionnelle et se refaire une peau neuve dans l'anonymat. On a remarqué que, parmi les migrants, le pourcentage d'individus appartenant aux castes inférieures et méprisées est plus fort que l'on ne s'y attendrait en fonction de leur représentativité totale. Tout se passe comme si des gens de basse classe fuyaient en ville une personnalité qui leur fait honte. En face de cet appauvrissement, né de la perte d'éléments de la personnalité, il y a un autre processus, lié à l'entrée dans un monde nouveau où la personnalité se dilue.
Ce monde, en effet, est tellement complexe que l'humble paysan s'y sent perdu: il a la ressource de ne pas séjourner longtemps en ville. De retour dans son village, il se croit loin du monde moderne. En quoi il se trompe d'ailleurs. Sa récolte est vendue selon les cours établis par les Bourses de Commerce de New York ou d'Amsterdam. L'impôt lui est demandé pour faire fonctionner un Etat dont il ne comprend guère les mécanismes. La monnaie dont il se sert tous les jours lui est incompréhensible. Les médicaments, la radio, l'école, qui bouleversent sa vie, apportent dans sa maison-même un écho de ce monde énorme. Le processus est bien plus sensible encore pour le néo-citadin fixé en ville depuis quelques mois. Il semble être le jouet de forces démesurées auxquelles il ne comprend rien. Autos et machines de toutes sortes sont impressionnantes par leur grand nombre, sans que l'on puisse bien comprendre ce qui les fait mouvoir ni comment on peut les construire. Le menu peuple se sent perdu dans une mécanique énorme dont il ne voit ni les rouages, ni le fonctionnement, ni la finalité. On ne saurait s'en étonner d'ailleurs. Les foules occidentales, gavées pourtant d'informations, d'écoles et de télévision se sentent parfois désemparées devant la complexité des villes, devant l'économie mondiale, devant l'intrication des politiques ou des intérêts. Combien plus les Africains dont l'horizon se bornait, il y a quelques lustres, à un village familial! Si l'on met à part les citadins de vieille souche, originaires du lieu même.

On identifie souvent les valeurs (dites) africaines comme un legs immuable. Or, c’est nier leur caractère historique. De fait, l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Ba comparait la tradition à un arbre dont il convenait d’élaguer certaines branches au fur et à mesure de sa croissance tout en s’assurant de la solidité du tronc. Ainsi, si la croissance démographique et l’urbanisation rendent obsolètes certaines valeurs et pratiques, elles n’annihilent pas pour autant le bien fondé de certaines valeurs telles que le sens de l’effort et du partage. Avec l’urbanisation et la sophistication des circuits de production/distribution de biens et services, l’homme est charrié vers un monde où frugalité, partage de biens et moments à forte valeur symbolique deviennent l’exception plutôt que la règle.
Après la célébration massive des indépendances factices accordées tant bien que mal aux nouveaux États africains, la réalité brutale s’est révélée au grand jour. L’envahisseur n’avait décolonisé qu’en paroles. Il demeurait là à travers l’héritage colonial : éducation occidentale institutionnalisée, langues étrangères devenues nationales, modèle occidental de gestion sociopolitique. Contraints de s’approprier ces nouvelles valeurs léguées par les puissances coloniales, les Africains ont, par la même occasion, provoqué leur mort culturelle. Car L’impératif d’un retour aux valeurs ancestrales en vue du développement de l’Afrique est une chose indispensable. Ce processus de mise à mort culturelle a conduit à la perte d’une identité propre aux Africains. Les valeurs prônées par les royaumes et empires précoloniaux, prédécesseurs des chefferies actuelles, se sont vues reléguées au second plan parce qu’on ne voit pas l’utilité de connaître l’histoire, la géographie, les traditions de son milieu. Au prix d’un ultime sacrifice culturel, on veut devenir moderne – laquelle modernité consiste à devenir un occidental typique – ; mais l’on réussit simplement à être un « clochard culturel » dont la subsistance repose sur la dépendance à une culture autre que la sienne.
Parler de valeurs africaines ne revient pas à dire que l’Afrique est uniforme. D’ailleurs, nous employons l’expression « sociétés africaines » pour montrer que l’Afrique est diverse. Cependant, l’on peut relever des similarités dans l’organisation sociopolitique des différents groupes ethniques qui la composent. Notamment, l’on peut constater que cette organisation sociopolitique repose sur la primauté de la communauté sur l’individu. Par exemple, le système de gouvernance dans les sociétés précoloniales reposait sur l’arbre à palabres, une institution qui constitue le vecteur essentiel du dialogue social. Elle constitue un moyen d’adoption des décisions importantes et un mode de résolution des conflits. Le recours à la justice traditionnelle pour le règlement des conflits au Rwanda ou au Burundi est la preuve que nos traditions ont des valeurs auxquelles on peut encore se vouer et même appliquer dans le fonctionnement actuel de nos sociétés. Les langues des colons ne devraient plus être considérées comme telles aujourd’hui. Elles sont un facteur de cohésion. C’est grâce à elles que dans un pays comme la république démocratique du Congo les gens sont en mesure de converser et de nous comprendre, quoi que nous puissions en dire. Nous prenons bien plus de liberté avec elles que les gens des pays dont elles proviennent. C’est la raison pour laquelle nous avons à présent le français Camerounais, le français ivoirien ou encore le français congolais. Ces dérivés portent nos idiosyncrasies en tant que peuple. Ils portent des traces de nos langues maternelles dont les traductions littérales ont été communément adoptées. Le mensonge de la nécessité d’un retour aux racines en Afrique, L’Afrique aux Africains, alors qu’en réalité l’Afrique est rejetée par les Africains. Les auteurs africains sont plus lus ailleurs qu’en Afrique. De quoi parlons-nous exactement ? Beaucoup de jeunes couples qui projettent de se marier sont contraints de rompre à cause de la pression des parents. Ces sommations de rupture peuvent être dues à diverses raisons telles que l’appartenance à différentes castes, différents groupes ethniques, différents milieux sociaux. Notre société justifie cette ingérence par le fait que les aînés, particulièrement les parents, ont un droit de regard absolu et immuable sur la vie et les choix de leurs enfants quel que soit leur âge.
PERTE DE SOLIDARITE
Dans ces "foules solitaires", l'individu se trouve perdu Face au monde compliqué, il ne trouve pas de relations utiles. C'est un aspect mineur que je voudrais souligner ici. Au village, la sécurité, dans tous les sens, est assurée par les appuis familiaux ou amicaux. Avec la répartition des travaux selon les sexes, la famille est indispensable pour assurer l'ensemble des opérations indispensables. Malade, l'individu est soigné par ses proches ; le recours â un spécialiste (devin, guérisseur) est organisé par eux ; en ville, au contraire, le malade s'en remet au médecin ou â l'hôpital. C’est auprès du groupe que l'on trouve refuge contre tout ennemi. Et le problème majeur même des pays africains face à l’ordre économique prédateur se trouve là, il n’y a pas de solidarité continentale. La solidarité joue, toujours, devant toutes les responsabilités. Il faut dire pourtant que si la famille est le refuge toujours accueillant, elle est aussi le lieu où se manifestent les pires haines. La sorcellerie, celle qui, selon tant de croyances locales, dévore les Ames, ne manifeste son pouvoir qu'entre apparentés. Il y a donc une ambivalence dans les liens familiaux. Les témoignages sur ce point sont innombrables. Les exemples d'entraide totale ne sont pas rares, mais les haines inexpiables et les soupçons sont également possibles. On conçoit bien que la personnalité se trouve amputée dans certaines conditions de déracinement. Faute de ce prolongement de lui-même qu'est son groupe, l'individu ne vit pas pleinement. En effet, les civilisations africaines, dans leur ensemble, ne valorisent guère la personnalité individuelle : elles mettent l'accent sur l'adaptation à autrui.
Aussi, tous ceux qui sont privés de cet environnement sont-ils comme privés d'eux-mêmes. Y a-t-il pire expression de la pauvreté, pire même que la privation de "choses" à quoi se limite trop souvent une vue matérialiste de la vie ? A côté de cette pauvreté de l'avoir et de cette limitation de l'être, un autre élément de la pauvreté est le fait de la différence.
Les civilisations occidentales, européenne, américaine ou russe, peuvent difficilement accepter que la différence soit ressentie comme une mutilation. Pour elles, en effet, depuis l'antiquité, une lutte constante se poursuit afin que soit reconnu le droit à la différence et le respect de l'autre dans ce qu'il a d'original. Lutte pour la liberté religieuse, pour la liberté politique, pour une libération économique ont caractérisé depuis près de vingt siècles l'histoire de l'Europe. Chaque fois, cet effort de libération s'accompagne d'un effort pour reconnaitre la liberté d'être soi-même.
Cette liberté d'être autrement ne séduit guère les Africains. Venus d'une civilisation communautaire, ils souffrent de ne pas être unanimes. Dans plusieurs coutumes de régions forestières de la République démocratique du Congo, par exemple, la désignation du chef se fait par une discussion démocratique ; mais, lorsqu'un candidat se dégage, discours, cérémonies et festivités se poursuivent jusqu'à ce que l'unanimité soit faite. Dans le même sens, dans d’autres régions du pays, des danses de justice terminent les procès de telle sorte que le perdant soit amené à acquiescer à sa défaite. Devant ces façons de faire, on ne peut s'étonner des élections réunissant plus de 95 % des suffrages sur le nom d'un président, des constitutions qui ne prévoient pas les droits de l'opposition. Trancher par un vote, lorsque persiste une opposition, n'a jamais paru une heureuse solution chez les Africains.

La civilisation mondiale actuelle, avec son pluralisme érigé en doctrine, apparaît donc étrangère à l'Afrique et, en quelque sorte, scandaleuse. En effet, face aux mythes ancestraux, d'autres ethnies expriment d'autres mythes, forcément contradictoires ; il faut choisir et, face à ses concurrentes, telle culture parait nécessairement suspecte. Il est parfois nécessaire d'enrichir ou de transformer les mythes d'origine. Ainsi, au Gabon, parmi les peuples du Sud, des généalogies décrivent la parenté des races humaines. Chaque ethnie prétend que son ancêtre est le fils ainé du Créateur. Il y a querelle de préséance mais non pas véritable contradiction. Les choses deviennent plus difficiles quand il s'agit d'intégrer dans la cosmogonie des peuples lointains dont on ne connait pas grand-chose.
Enfin, lorsque de véritables étrangers se présentent (les Pygmées dont les caractères somatiques marquent à l'évidence l'étrangeté ou les Européens),il faut vraiment "donner un coup de pouce" à la généalogie pour leur trouver une place : Blancs et Pygmées sont frères, descendants, comme d'autres tribus géographiquement très éloignées, d'un même ancêtre. Puisque les Pygmées sont les seuls que vous, Blancs, ayez dispensés d'impôts". Les Fangs du Gabon ont trouvé une autre méthode généalogique. Ils remontent les lignées d'ancêtres de plus en plus loin, insérant entre Nzamhê (créateur ou démiurge, on ne sait trop) et les ancêtres "historiques" un Afiri Kara, père de tous les Africains et gage de leur unité profonde. Le nom même d'Afiri Kara, si proche dans ses sonorités d'Africa, semble bien avouer le caractère mythique.
LES MIGRATIONS MODERNES
Dans beaucoup de cas, pourtant, elles se font avec l'accord de la
famille. Elles sont entrées dans les mœurs. Les pères de famille prévoient les migrations de leurs fils et petits-fils et en escomptent les bénéfices. Souvent les aînés transmettent aux cadets les bonnes filières pour voyager et trouver appuis et emplois. Il n'en est pas toujours ainsi cependant. La migration apparaît quelquefois comme une possibilité d'échapper aux contraintes et à la discipline du village. Alors que l'homme de jadis était obligé de se soumettre aux lois et aux vieux qui les incarnent, celui d'aujourd'hui a toujours une porte de secours : il peut migrer et cette simple possibilité, soupape de sûreté, diminue le caractère absolument contraignant de la tradition.
A travers la littérature et, surtout, à travers le cinéma africain, on pressent combien ces migrations tourmentent, consciemment ou inconsciemment, l'esprit des auteurs et réalisateurs africains. Une notable proportion de films d'auteurs africains tourne autour de ce problème, soit que l'exode soit traité pour lui-même, soit qu'il fournisse une conclusion facile pour dénouer une situation inextricable, soit qu'il permette d'opposer moderne et ancien, pauvreté du migrant et aisance du paysan. Toutes sortes d'idées, parfois opposées, sont exprimées à propos de ces migrations. Entreprises dans la plupart des cas pour résoudre une situation de pauvreté, elles ont parfois pour résultat de faire naître une pauvreté plus grave. Dans certaines régions du Congo, dit-on, une grande fraction des hommes jeunes est aspirée par Brazzaville. Les villages sont tellement dépeuplés que ceux qui restent ne peuvent plus exécuter les travaux agricoles indispensables. La sex-ratio y est si perturbée que les jeunes filles ne trouvent guère d'époux de leur âge. Les vieux n'étant plus concurrencés par des jeunes peuvent s'offrir plusieurs épouses: la polygamie, se développe.
Dans la vallée du Sénégal, l'attrait de Dakar s'exerce fortement. Les travaux agricoles indispensables sont encore exécutés mais certaines terres ne sont plus entretenues soigneusement. Des buissons aux racines puissantes commencent à foisonner ; ils ne pourront être extirpés que par de gros travaux. Les villages peuvent ainsi souffrir d'un appauvrissement cumulatif. Mais c'est surtout la situation du migrant qui doit retenir l'attention. Du simple fait qu'il a quitté son pays et quelle que soit sa situation économique, son univers culturel s'appauvrit.
Son être même se trouve diminué.
En effet, la civilisation traditionnelle met l'accent sur le groupe et rarement sur la personne. Celle-ci n'acquiert vraiment sa plénitude qu'au sein de la communauté. Les enquêtes sur les étudiants africains en France le montrent bien. Ce qui leur manque, plus que la personne de leur père ou de leur mère, c'est le groupe dans son ensemble. Rien dans l'éducation traditionnelle ne vient inciter l'enfant à une prise de conscience personnelle. Il est choyé, éduqué, nourri par sa mère, mais peut aussi vivre avec n'importe lequel de ses parents, oncle ou tante. Le cercle étroit de la famille nucléaire n'est aucunement privilégié. Dans le Cameroun forestier ou au Gabon, il est fréquent que des parents, des oncles selon la terminologie occidentale, réclament un enfant pour leur tenir compagnie. Le père qui refuserait serait mal considéré. Rationalisant cet usage, des informateurs déclarent qu'il est bon pour un enfant de sortir de son foyer. Ils estiment qu'un père aurait à souffrir de manifester à l'égard de son fils la fermeté indispensable à une bonne éducation. A partir du moment où ils peuvent se débrouiller seuls, les enfants échappent en partie au foyer paternel pour vivre avec la bande de leur âge, frères et cousins. P. Erny, dans son '’autobiographies d'étudiants zaïrois" montre combien cette instabilité est répandue, même dans les circonstances normales. La terminologie même de la parenté témoigne de cette extension : on nomme père tous les hommes de la génération du père. Privé de toute cette compagnie, le migrant se sent diminué. Son extrême sociabilité va se trouver frustrée. Il est maintenant entouré d'étrangers envers qui il éprouve une certaine méfiance. Etablir des relations, nouer des relations n'est pas simple dans ces conditions. On peut parler à ce propos de perte de sociabilité. Le phénomène ne doit pas étonner le citadin des mégapoles qui a souffert de sa solitude dans la foule. Séparé d'un milieu humain qu'il connaissait-bien et qui était chaleureux, malgré les contraintes de la promiscuité, le migrant va perdre aussi sa personnalité morale. Les normes
morales qui le structuraient sont, en effet, liées à la communauté du sang. C'est parce qu'ils sont mes pères ou mes frères que je dois aux hommes âgés ou à mes contemporains respect ou fraternité. La loi morale, avec son caractère abstrait et universel/n'est pas instinctivement perçue.
Tel ancêtre ou tel génie a formulé un interdit ; c'est son ordre positif qui crée la règle et non pas un principe général. Toutes sortes de règles morales ou juridiques sont liées à l'appartenance familiale. En faire l'inventaire serait fastidieux car les exemples varient selon les ethnies. Chez les populations ewondo du Sud-Cameroun, les rixes entre parents sont prohibées car elles pourraient amener un homme à faire couler le sang de son adversaire qui est son propre sang. Dans beaucoup de coutumes, un bien peut être utilisé par n'importe quel membre du clan de son propriétaire. Et l'on voit bien des commerçants renoncer
à leurs projets de boutique parce que chaque parent revendique quelques objets du stock. Dans certains pays, la terre tribale ne peut être vendue ou mise en gage, parce que l'on souligne les liens noués entre les ancêtres et les génies chtoniens du lieu. Mais si les membres de ces clans émigrent et installent des plantations, ils chercheront peut-être à les vendre ou à les louer. Cela leur semblera logique puisqu'ils ne seront plus sur le sol de leurs ancêtres. Plusieurs auteurs ont noté, non sans quelque regret, que les Africains, soigneux du bien commun quand ils sont dans leur village, perdent tout esprit civique lorsqu'ils en sont sortis. Ils empruntent sans restituer, manient les objets sans précaution, cassent sans réparer. Habitués à une vie communautaire, on aurait pu penser qu'ils feraient
d'excellents coopérateurs. Hélas, il n'en a rien été et le "Socialisme africain de L.V. Thomas doit conclure que le bien social n'est respecté que s'il appartient à une communauté assez étroite, définie par les liens du sang. Au-delà de ce cercle étroit, même à l'intérieur du village où chacun se connait bien, le sens de la solidarité s'estompe On pourrait croire que cette façon de penser vient d'une tradition de guerres claniques et par conséquent de méfiance.
En latin, le même mot désigne à la fois l'étranger et l'ennemi : hostis Mais il semble qu'il faille, pour les droits africains, pousser l'analyse plus profondément. Dans beaucoup de droits coutumiers, l'étranger est volontiers accueilli:
l'hospitalité africaine est (ou était) légendaire. L'étranger pourra se fixer au village ; on lui donnera un champ ; on lui assignera une famille qui le prendra en charge. Il sera "naturalisé", assimilé. Mais s'il reste étranger, par exemple s'il retourne dans son pays d'origine, s'il vient avec sa famille, il en va autrement. Admis comme fils adoptif, il ne le serait plus de la même façon s'il se présentait en étranger revendiquant un statut d'adulte ou de chef de ménage. Les coutumes établissent des distinctions entre les étrangers avec lesquels il n'y a pas de rapports, ceux avec lesquels il ya des échanges de commerce, et enfin les étrangers plus proches avec qui le mariage est possible. On retrouve les catégories de nombreux droits anciens avec le "cum-mercium" et le "cum-nubium". Hors de son pays, le migrant perd en quelque sorte sa qualité d'être juridique: les hommes véritables sont les descendants de l'ancêtre. Les autres ne deviennent "humains" que lorsqu'on peut les rattacher à une généalogie, à un mythe de création. On comprend bien, dès lors, que les migrants soient souvent considérés comme des délinquants en puissance par ceux qui les reçoivent. Etres hybrides, vivant hors des lois, ils sont en même temps loin de tout contrôle social. Anonymes, ils ne peuvent être repérés. Il faut ajouter, pour être objectifs, que les migrants se recrutent parmi les jeunes hommes non encore assagis par les responsabilités familiales, c'est à dire parmi les catégories où la délinquance est toujours là plus marquée.
Plusieurs jeunes gens, auteurs de graves délits, ne songent pas à leur culpabilité. Ils pensent qu'ils repartiront au village, s'y marieront. Ils commenceront alors
une vie nouvelle, une vie d'adulte pour laquelle les "fautes de jeunesse" ne comptent pas, surtout, ajouterai-je, si elles sont commises en milieu étranger.

DES PISTES D’ACTION
Ces valeurs, il faut les identifier, il faut savoir les opérationnaliser. Quand j’entends parler de panafricanisme, je dis “mais qu’est-ce que Cheikh Anta Diop n’a pas dit, qu’est-ce que N’KRUMAH n’a pas dit ?” Je veux dire que tout est là ; la difficulté c’est de les opérationnaliser. Voilà pourquoi je dis qu’après avoir identifié les valeurs positives, il faut savoir les opérationnaliser. Comment intégrer les valeurs africaines dans nos institutions ? On veut inculquer la tolérance à des jeunes, la liberté, l’égalité, à l’école primaire. A l’école primaire, c’est déjà trop tard. Il faut commencer à l’école maternelle. Quand on commence à l’école maternelle, il faut utiliser les leaders d’opinion : les sportifs et les artistes. Ils apprennent la constitution, ils vont ensuite apprendre aux enfants en bas âge que nous sommes différents mais égaux. A trois ans, leur apprendre la liberté, l’égalité, leur montrer que le vouloir vivre ensemble comme africain est une nécessité pour récupérer notre héritage qui s’enterre.

Dans une approche phénoménologique, la culture africaine présente comme valeur la solidarité fragilisée aujourd’hui par la course à l’individualisme cynique provoqué par l’avènement du capitalisme manœuvrant et pédant, le sens d’assistance, d’aide et d’attention au frère qui est mis au ban de la société.
C’est l’humanisme africain qui reste la seule et unique chance pour le monde entier devant la déshumanisation qui menace l’homme moderne. Cependant, la perte de cette valeur en Afrique laisse place aux guerres fratricides déplorables.
Les thèmes d’instruction sont plus fournis pour les contes et les proverbes. La signification symbolique émanant de ces deux genres est utilisée sur plusieurs plans: connaissance de la nature, morale, comportement social… Les héros des contes mettent en évidence un système de valeurs et incarnent, suivant les cas, les vertus qui les mènent à la réussite sociale ou les défauts qui les conduisent à leur perte.
En effet, du conte, au mythe en passant par les proverbes et devinettes et jusqu’aux récits épiques, il y a toujours un enseignement à tirer, une valeur à inculquer à l’enfant. C’est aux grands-parents qu’incombent le plus la transmission de la tradition aux enfants en fonction de la sagesse procurée par l’âge mais aussi de leur disponibilité. Ils servent de trait d’union entre le passé et le présent. En effet, dans toutes les sociétés, la grand-mère est ce personnage caractérisé par une grande tolérance, une expérience humaine qui en fait la bibliothèque humaine.
Le questionnement sur les valeurs est le symptôme des mutations profondes que connaissent nos sociétés sous les effets conjugués de ces deux phénomènes de grande ampleur que sont la mondialisation et les nouvelles technologies ». Le sentiment général est l’affirmation que le monde a perdu son orientation éthique et que de nombreuses personnes ne voient pas d’horizon vers lequel se diriger. Nous pensons que plus qu’à une “crise” de valeurs, entendue comme leur “absence”, nous assistons à une perte du sens même des valeurs, et plus profondément, à une “crise de la personne” et une “crise de lien” (avec la famille, l’école, la société, l’information, la technologie, la vitesse des changements de tout ordre).
Nous constatons comment les valeurs économiques, affectives, esthétiques et intellectuelles qui ont comme but le profit et l’épanouissement personnel masquent les valeurs éthiques, spécialement celles visant la réalisation du bien collectif et l’amélioration du lien social.


Par OBED MAYAMBAU,
Magazine PEUPLE NOIR
28 Fevvrier 2020