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Africa Pax, Pour une force Africaine de maintien de la paix
Africa Pax, Pour une force Africaine de maintien de la paix
Africa Pax, Pour une force Africaine de maintien de la paix

Le document de recherche d’ Inger Ôsterdahl sur les interventions et justifications de la France dans l’Afrique de l’après-guerre froide tombe à point nommé. Ce travail tente , au moment où la France est contrainte à une révision de sa politique extérieure africaine, d’examiner, à travers les interventions au Gabon, au Togo au Congo Démocratique (ex-Zaïre) et au Rwanda de la fin des années 80 à 1995, la question de l’ingérence militaire dans une optique juridique.
Il en ressort que le principe d’intervention au niveau du droit international, lequel est forcément influencé par le monde politique environnant, s’articule davantage sur la stabilité et donc l’ordre plutôt que la démocratie dont se drapera parfois la légitimation des opérations françaises. Passant en revue les justifications juridiques qu’ accompagnent ces interventions, soit la protection des citoyens français, les demandes d’intervention des régimes africains, les accords de défense, et les exigences de la démocratisation, Ôsterdahl fait aussi ressortir sans complaisance une série de problèmes découlant du principe de non-intervention appliquée aux réalités africaines. Elle parvient aussi à saisir que si la France n’a pas hésité à s’engager en faveur de régimes dictatoriaux, une certaine realpolitik l’amène à reconsidérer ses aventures militaires et à les réduire. Mais tant que subsisteront des intérêts politiques et stratégiques, la France, en l’absence désormais de la rivalité d’une autre puissance, ( malgré l’importance grandissante des Etats Unis) - fera de l’Afrique un tremplin de son rayonnement extérieur. Il n’ y a rien là de nouveau excepté que la coopération intra-européenne l’ incite dorénavant à tenter d’associer ses pairs à endosser ses opérations, ou alors à obtenir un blanc seing. Les deux solutions sont encore à l’état d’étude dans le cadre d’une plus grande intégration militaire des Européens.
Ôsterdahl en raison sans doute de la rigidité d’une perspective juridique semble sous-estimer ou occulter plusieurs facteurs. S’ il est vrai que la France dispose d’un dispositif juridique et institutionnel pour l’intervention ou la non-intervention dans son pré-carré, elle est frappée de plein fouet par l’épuisement du mode néo-colonial de croissance, ainsi que par sa crise d’autorité et de légitimité face aux populations africaines. Elle est en outre débordée par la lutte locale pour l’appropriation des véhicules légitimes et illégitimes de coercition , de pouvoir et d’enrichissement. Ce débordement tient d’abord du fait que la France en Afrique est un conglomérat d’intérêts croisés pas toujours cohérents et homogènes. En plus des cellules africaines de Paris légitimes ou occultes gravitent d’autres réseaux affairistes dont les affinités avec les courants politico-militaires en lutte démocratique ou sanglante aggravent la question de l’interventionnisme. La lutte dans les rangs de l’administration , le milieu politique et le milieu des affaires se traduit par un déchirement et une improvisation sur l’attitude à adopter dans le vent de mondialisation américanisé quant au rôle historique de la France en matière stratégique, symbolico-culturelle, économique et politique à l’égard de l’Afrique. L’auteure semble aussi sous-estimer la déliquescence du pré-carré français face à la double offensive américaine. Celle-ci se distingue par un volet néo-libéral, les ajustements structurels , cautionnés par une France, qui au départ semblait être soulagée par l’assistance à ce qu’elle considérait être un fardeau, mais qui est très vite dépassée par son ampleur, et le dynamisme de certaines firmes multinationales rivales. L’autre volet plus militaro stratégique esquisse un axe américain en Afrique qui a piétiné les plate-bandes françaises, qui doivent être désormais protégées par ‘l’interopérationnalité et sa force d’action rapide’. A cela il faut ajouter une autre dynamique inhérente à la Francophonie et au rôle du Canada-Québec. Les élites africaines rivales qui tentent pour l’instant, sous une forme de chantage, de monnayer un soutien contre l’utilisation de leurs ressources, en jouant les uns contre les autres les intérêts des grandes puissances, perdent de vue que c’est leur propre avenir sécuritaire qui est hypothéqué. J’ai eu à démontrer, d’une part que la France ne s’est jamais embarassée d’arguties juridiques pour intervenir ou ne pas intervenir au moins une trentaine de fois militairement, et d’autre part, que de plus en plus, les puissances voudront faire faire les interventions ingrates par des régimes africains inféodées. Ceci pose toute la pertinence d’une force interafricaine de paix qui ne soit pas sous la coupole des intérêts des puissances. L’auteure soutient que les liens étroits dans le domaine militaire auraient servi autant la France que les pays africains, et que ceux-ci ont bénéficié d’intérêts économiques et militaires et la France d’intérêts politiques et militaires. Ceci gagnerait à être nuancé. D’abord il semble que ce ne soit pas les pays mais davantage les régimes et des opérateurs économiques qui ont bénéficié de ces relations . Ensuite que la part économique des intérêts français et la part politique des intérêts africains pèsent souvent bien lourd dans ces opérations. Enfin que les inconsistances du droit international en matière d’interventionnisme soulevée par l’auteure doivent inciter les spécialistes à lire son analyse et à approfondir les recherches.

Aziz S. Fall (GRILA)

Aziz Salmone Fall, Politologue, enseigne à l’Université du Québec à Montréal, à l’Université de Sherbrooke, au Centre à la formation et la coopération interculturelle et au Centre Pearson de maintien de la Paix (Canada).
Il a présidé le comité consultatif Montréalais sur la politique étrangère du Canada 1997