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Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de société de Thomas Sankara
Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de société de Thomas Sankara
Notes sur la révolution et le développement national et populaire dans le projet de société de Thomas Sankara

Thomas Sankara a incarné dans la mémoire historique de millions d’africains et d’africaines l’espoir d’un changement basé sur la seule contribution de nos propres forces. A 37 ans comme Ernesto Che Guevara et pour la même cause il rejoignait l’immortel panthéon des humains intègres. Il a été l’instigateur d’un changement qui demeure un impératif incontournable pour la majorité des formations sociales africaines. Pour comprendre son projet de société, mais aussi son "volontarisme" si dérangeant qui contribua d’ailleurs le perdre. Ces quelques notes s’adressent toutes les bonnes volontés qui se préoccupent de la condition du continent africain, et qui chaque 15 octobre ont une pensée pour Thomas.

Pour appréhender la profondeur de l’oeuvre de Sankara, il faut cerner les conditions dramatiques de développement dans lesquelles est inséré le Burkina Faso. Pays enclavé, au développement extraverti et dépendant d’apports financiers internationaux; formation sociale en quête permanente d’une autosuffisance alimentaire que les opérations de péréquation régionales ne parviennent pas toujours à compenser; population active s’expatriant et confirmant la vocation historique de fournisseur régional de main d’oeuvre bon marché; bref le pays présente des caractéristiques prédisposant la poursuite classique de développement de type néo-colonial.

Thomas Sankara évoluant dans de telles conditions, mais ayant aussi une conviction claire de sa propre condition, c’est à dire son appartenance à la petite - bourgeoisie intellectualisée, fut animé sa vie durant par une obsédante vocation. Non pas qu’il était guidé par un messianisme narcissique comme ses bourreaux ont voulu le faire croire, mais parce qu’il avait une claire conscience de sa responsabilité historique. Thomas avait en effet l’intuition d’appartenir à la rare catégorie de l’intelligentsia révolutionnaire africaine. Ceci n’est pas une appartenance de classe. Cette particularité se caractérise par une praxis que l’on peut réduire à une propension à l’anti-capitalisme, à la faculté de pouvoir sauvegarder une symbiose avec les masses populaires dont il fit l’ardente promotion de la vitalité culturelle; et enfin ce trait commun aux grands progressistes de notre temps, cet internationalisme humaniste et universaliste qui lui permettait l’intelligence de saisir la nature du système mondial. Croupissant en prison pour son idéal, puis haranguant les foules durant son bouillonant intermède au pouvoir, il n’a cessé d’être convaincu de la pertinence de son projet de société. La seule animosité des grands intérêts de ce monde et des judas autour de lui aurait pu convaincre d’ailleurs n’importe qui de la justesse de la voie à suivre. On peut s’étonner de l’amnésie du peuple burkinabé et de l’anesthésie qui s’est emparée de lui, comme de la torpeur qui a saisi bien des patriotes africains aprés le sinistre évènement du 15 octobre 1987. Peur, immaturité, certainement. Mais tout cela s’explique aussi en partie par la réaction au "volontarisme" intrinséque au projet de société dit de la "transformation nationale et populaire".

En effet, ce mode de développement est une rupture radicale avec les désordres antérieurs, mais aussi bien des mentalités et autres rigidités culturelles. Il suppose une adhésion populaire, un engouement des masses, un sens du sacrifice des couches possédantes…bref un ensemble de conditions qui font de Thomas comme certains de ses illustres prédécesseurs panafricanistes, des visionnaires en avance sur leur peuple. Non pas que leur projet de société ne soit pas valable pour les années 90. Au contraire il l’était déjà avant ces années là. Il se trouve juste que l’indispensable alliance nationale et populaire, inhérente à toute rupture avec la compradorisation et la mondialisation capitaliste est un épisode vicieux, ou périssent bien des tentatives louables à travers le continent. L’erreur de Thomas fut de croire ce processus d’alliances bien enclenché. Cependant le choix de privilégier l’agriculture et les paysans pour le sursaut national; le choix de construire un marché intérieur de biens de consommation de masse accessible et variés; la volonté de satisfaire pour le plus grand nombre les besoins essentiels; celui de contribuer à l’emancipation de la femme; comme celui d’avoir une gestion patriotique des deniers publiques en refusant la subalternisation qu’impose le système mondial, sont toutes des initiatives prises par un élan radical et contraire à la norme en vigueur dans le système mondial. Dès lors toute intelligentsia progressiste qui opte pour cette voie s’expose sciemment à la trahision, à l’impatience de certains pans de la société, à l’incompréhension et à la fomentation de bien d’autres. Nous croyons pourtant que les grandes orientations du 4 Août sont pour l’essentiel encore correctes, et que toute initiative de ce type à travers l’Afrique doit être soutenue et entretenue. C’est à cela que le GRILA tente de contribuer depuis une dizaine d’années.

L’Afrique est condamnée d’essayer, pour l’avenir décent de ses enfants, ces choix que nos peuples parfois incrédules et apathique doivent dorénavant défendre contre tous les sombres intérêts qui s’y opposent. La vague de démocratisation en vogue à travers le continent n’est qu’un des nombreux signes du raz le bol généralisé, qui pour l’instant se canalise dans la poursuite du multipartisme et la démocratie bourgeoise. Cette étape est peut être incontournable. Mais la démocratie ne peut être véritablement atteinte et préservée que par la parralèle poursuite du développement autocentré et populaire, et lautonomie collective régionale. L’entètement légitime de Sankara et une certaine forme de volontarisme, qu’il essayait vainement d’éviter, sont plus qu’excusables. Ils sont des vertus essentielles à l’avènement d’un développement réel de notre continent. L’urgence catastrophique de la situation de certains pays est un prétexte commode.
Le volontarisme est certes une déviation qui peut être dangereuse pour toute révolution. L’avant - garde révolutionnaire - ici l’intelligentsia progressiste - a peut être péché par subjectivisme. En d’autres mots, une dogmatique s’installe oû la répétition aveugle des slogans et des leitmotives ne peut à elle seule faire l’économie des étapes incontournables vers la révolution. Idéologiquement une telle tendance a pour effet d’induire en erreur, puisque l’aspiration révolutionnaire sans borne fait confondre désir et réalité concrète. Au niveau de la décision politique, la nécéssité d’alliances tactiques, et même une prise en compte rigoureuse de l’état réel des rapports de forces et de classes doivent précèder toute initiative majeure.

Thomas Sankara n’était pas pour autant un gauchiste. Il a sut rester en contact permanent avec les masses et leurs aspirations. Peut être par contre, que la marche de la révolution s’est elle trop laissée guider par la direction et la volonté de l'élite dont Thomas faisait partie. Notre critique la plus sévère à l’endroit de ce grand homme est donc claire. La tendance au gauchisme existait bel et bien dans son entourage, et faisait trop reposer la révolution sur la direction plutôt que sur l’organisation d’une entitécapable de mobiliser, de canaliser les masses et leur permettre d’acquérir la maitrise du pouvoir. Thomas au crépuscule de sa vie avit remarqué que ce n’était pas qu’à lui et aux proches de déterminer l’histoire, mais à un parti d’avant garde des masses chargé de réaliser les étapes de la révoltion. Il considérait contrairement à l’union des communistes burkinabés, aux Compaoré et autres, qu’un parti d’avant-garde composé d’élites ne pourrait être la solution. C’est pourquoi il a suggéré dès le mois de juin au sein du CNR, la dissolution des 4 partis qui le composent afin de permettre la transition vers un parti de masse. Ce n’etait pas l’avis de la troika (Compaoré, Zongo, Lingani) ni des partis (OMR, ILCR, GCB, UCB). Une fois son dessin connu (il travaillait à la rédaction de la base idéologique de ce futur mouvemet), il devenait dangereux pour ceux-là même qui s’etaient détachés des masses, ceux là même déterminés à couper les ponts avec le peuple, le seul capable de réaliser les étapes d’une révolution démocratique. Dans ses discours du 4 Août et du 2 Octobre, il invite les révolutionnaires à l’unité dans le pluralisme, et récuse les aventurismes et les égarements de certains CDR. A la rencontre du CNR du 8 octobre, Sankara proposa la tenue d’une élection nationale de 120 représentants du peuple, et signale sa désapprobation à se lancer dans une répression des syndicalistes et d’autres personnes de la société civile. Mais son assassinat n’en fut qu’hâté.

C’est pourquoi nous rappelons à tous nos camarades, que l’histoire ne peut être le produit de la volonté d’un homme, ni d’un groupe … Nous avons vu qu’un groupe - encore plus lorsqu’il est issu de l’armée et donc prédisposé à n’user que du seul langage respecté: la force) ne peut fonctionner que de façon autocratique, car les despotes répugnent à divulguer leur problème sur la place publique et laisser le peuple régler le différend qui les oppose. D’ailleurs peu de temps après, la zizannie affectera la troika, et Zongo et Lingani seront liquidés amenant dans leur cortège d'autres victimes. Le simulacre de démocratie qui s’en est suivi, la cooptation de la France et de l’Occident, l’essouflement et la renonciation blasée des masses sont des schémas classiques de la compradorisation qui ravage l’Afrique. Retenons, qu’une telle tendance groupusculaire ne concrétise qu’une rupture avec les masses. Il faut rester lié et en contact permanent avec les intérêts de classe des masses; il faut croire en leur potentiel créateur une fois qu’elles sont auto-organisées. Il faut en restant dans la ligne de satisfaction de leurs intérêts immédiats, tracer une stratégie commune en consultation constante avec elle, car elles s’evertueront toujours elles mêmes à vouloir s’éduquer et s’informer si ces critères essentiels de la mobilisation ne sont pas négligés par l’avant-garde révolutionnaire qui est enracinée en elle.

Que ce soit pour les populations de l’Afrique australe qui sont en train laborieusement d’achever l’apartheid, ou pour les autres qui reconstruisent après les affres de la guerre, ou combattent les culturalismes, les fondamentalismes ou les intérêts compradores, nous sommes contraints à la libération et au développement national populaire. Cela n’est pas de la démagogie mais plutôt du bon sens qui doit tenir compte des exigences et les intérêts réels des masses.

L’ordre mondial actuel, même affublé du qualificatif de Nouvel, est dèjà si impitoyable pour l’Afrique qu’on peut augurer qu’il le sera davantage aprés l’an 2000. Plusieurs pans des formations sociales africaines seront marginalisées et condamnées à la mendicité et au régne cupide de castes prédateurs. Les autres formations sociales qui auront la possibilité d’être intégrée au marché mondial ne le seront qu’au vil prix de la compradorisation et de l’ajustement aux conséquences, forcément de plus en plus cruelles, que deneureront insatiables les exigences du grand capitalisme. Ceci est le sort que réserve le capitalisme en cours à l’Afrique, c’est à dire la possibilité d’une vie décente à une infirme minorité de privilégiés et la survivance des autres aux crochets d’une économie informelle de misère.

En ce sens, le projet de Sankara venait à son heure. Il continue d’être pertinent pour l’Afrique toute entière vouée pour l’instant à la "gestion de l’enlisement" des bailleurs de fonds. En somme, qu’on le veuille ou non, notre vie à venir dépend de choix radicaux qu’il faut avoir le courage de prendre maintenant et de poursuivre. Sankara nous a prouvé que l’utopie était réalisable et il l’a chèrement payé. Mais il n’est mort que physiquement. Jamais on aura autant parlé de lui qu’apres son exemple. C’est dire donc qu’il avait raison de persévérer et que notre histoire ne fait que commencer. La patrie ou la mort.? Il a obtenu la seconde pour sauver la première. Mais que deviendra alors la patrie? Elle est condamnée au refus de la mort, à s’évertuer de vivre en luttant, donc à confirmer que Sankara a encore raison!

A luta continua


GRILA